Chronique

Christiane Bopp

Noyau de Lune

Christiane Bopp (tb, voc, objets)

Ce sont d’étranges perturbations qui nous proviennent de la Lune. D’abord un roulement lointain, comme un « Premier orage » qui ressemble davantage, lorsqu’on s’immerge dans le son, au roulement d’une bille sur une surface de cuivre. À moins que ce soit le souffle étouffé de scories d’une embouchure détournée de son usage commun ; bienvenue dans Noyau de Lune, le premier disque solo de la tromboniste Christiane Bopp où toutes les surfaces sont sensibles et faussement arides. Où les limites entre le chant et le toucher se révèlent des plus poreuses, où la matière peut être traduite en ondes ; où l’intangible n’en finit pas de faire masse. En témoigne « Noyau de Lune » où deux voix se répondent, l’une éclatante et l’autre sourde comme dans un dilemme intérieur. Que choisir ? Le son pur et tranchant du trombone ou les sons tronqués d’un instrument démontable qui sonne jusqu’aux pièces détachables, telles les sourdines qui n’avaient jamais été à pareille fête.

Très vite, on perçoit que la recherche de Christiane Bopp porte sur l’équilibre. Ainsi, après avoir démontré que le trombone est un instrument au possibilités illimitées, elle revient à un certain classicisme dans un « Gitane » lyrique. Le timbre est chaud, brillant, et le son plein, mais peu à peu c’est la voix qui reprend le relais pour une partition plus charnelle. Avec Jean-Luc Petit, la soliste testa La Matière des Souffles ; la voici qui incarne le corps des sons : en chantant par-dessus l’embouchure, en doublant le son par la gorge, elle donne à l’engin à coulisse une dimension poétique qu’on lui dénie souvent ; en investissant même toutes ses capacités microtonales dans le très beau « Captif des murmures » qui suit, elle rappelle que ce n’est pas qu’un instrument fanfaron destiné à faire le ménage harmonique autour de lui, mais un outil de finesse capable d’incarner les cendres et l’infiniment petit. Poussière de Lune.

Enregistré pour Fou Records qui lui est fidèle, Noyau de Lune est le disque qui placera définitivement Bopp parmi les incontournables, après le tentet de Joëlle Léandre et le Dédales de Pifarély et avant l’ONJ de Fred Maurin. Son univers est large, voire délicieusement hyperbolique et ne se cantonne pas aux canons habituels du jazz ou de la musique improvisée. A l’écoute de « Ce qui brûle » où le trombone peut parfois muter en cor de chasse, elle rappelle qu’elle est aussi joueuse de sacqueboute, le vénérable ancêtre à coulisse de la musique baroque. La mélodie est cristalline, peut-être même trop pure. C’est une matière première, comme le carbone l’est au diamant, aussi faut-il qu’elle le malaxe à son point de fusion, l’altère joliment à la voix et lui donne d’autres perspectives jusqu’à ce qu’on se pose légitimement la question du médium utilisé, perdant tout repère. Mais peu importe si notre boussole est cassée, c’est en partie le but : l’étoile du Nord n’a plus cours, c’est le Noyau de Lune qui a l’attraction la plus forte et nous emmène sans obstacles vers le trombone et tous ses satellites.