Chronique

Bopp Foussat Parrenin

Nature Still

Christiane Bopp (tb), Emmanuelle Parrenin (vielle à roue), Foussat (elec, fx)

Label / Distribution : FOU Records

Bienvenue dans la musique de Schrödinger ! Comme le chat du célèbre physicien, on ne sait pas si la rencontre entre trois habitués des musiques les plus libres, sous l’égide de Fou Records, est morte ou vivante : tous les faisceaux sont activés, toutes les possibilités envisagées. Elles se croisent, elles s’opposent, elle se complètent. Et laissent entendre que la réponse, comme en toutes choses, n’est pas aussi simple que cela. On connaît l’alliance ancienne et vivace du label de Jean-Marc Foussat avec Christiane Bopp : elle avait notamment été documentée dans un remarquable solo de la tromboniste, mais aussi avec Jean-Luc Petit, dans un album très organique. Mais on est davantage ici dans l’atmosphère de Barbares, un quartet avec Makoto Sato où l’électronique de Jean-Marc Foussat se confronte à un souffle qui sait s’emparer de tous les sons possibles, s’instiller par toutes les petites encoches.

Pour les accompagner, pour faire corps avec eux, la vielle à roue d’Emmanuelle Parrenin vient apporter un son inédit, qu’on pourrait définir comme un hybride naturel entre la rocaille du trombone et les manifestations fantomales du Synthi AKS qui triture à l’envi quelques sifflets ou bribes de voix. C’est un peu comme cela que commence Nature Still, par une « Nature Morte » où le silence se réveille dans un bourdon et s’agite, retrouvant souffle, dans les basses du trombone. La Nature est Morte, mais elle reprend vie, elle renaît, elle se recompose différemment avec les quelques substrats à sa disposition ; la vielle de Parrenin installe une sorte de mouvement perpétuel qui abolit tout paradoxe temporel. Entre l’électricité de Foussat et son instrument populaire et vénérable, pas besoin d’adaptation ou d’intermédiaire, ne serait-ce que parce que le trombone amalgame et restructure, fait de la vie et de la mort autre chose qu’une simple pulsion, ainsi qu’on peut l’entendre dans « Nature Live », le miroir du morceau précédent, où les sourdines de Bopp font merveille, tout comme les trésors qu’elle déploie pour toujours s’adapter aux déviations de ses partenaires.

Ce qui compte, c’est l’état de Nature. Et comme la musique de ces trois improvisateurs, dans l’intense et central « Still Morte », elle est changeante et indépendante de toute considération binaire : comme le fameux chat, elle est tout à la fois, et surtout en constante mutation, en équilibre précaire sur une brèche, prête à se rétracter ou au contraire à se diffuser sans relâche. Lorsque le growl du trombone laisse place puis intègre voire complète le frôlement continu de la roue sur les cordes de la vielle, rappelant une sorte de musique ancienne traversée par un brouillard électronique, on entre dans un monde parallèle où tous les codes sont à laisser à la consigne, le temps de cet enregistrement de février 2018 à La Générale à Paris. On a résolu l’énigme de Schrödinger : le chat s’est échappé dans un univers où la liberté est totale et l’herbe délicate. C’est ici même, en ce disque !