Chronique

Clinamen Trio

Enclins

Louis-Michel Marion (b), Jacques Di Donato (cl, bcl), Philippe Berger (vla)

Label / Distribution : Creative Sources

Après Décliné, voici Enclins. Les lettres ont leur importance : elles allitèrent, elles anagramment, elles sont ces atomes indispensables à la marche du monde car de leur choc accidentel naît la nouveauté : rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme en un aléatoire fécond que nourrit le Clinamen Trio cher au contrebassiste Louis-Michel Marion et au clarinettiste Jacques di Donato, deux habitués de ces contrées incertaines en perpétuel mouvement. Car les lettres sont comme les sons qui s’impliquent dans une mécanique aussi huilée qu’aléatoire où le Clinamen a sa place. Clinamen ? Qu’est-ce ? Une théorie antique de la physique épicurienne qui veut que le choc des atomes soit créateur du monde. Une belle définition des strates limoneuses que la clarinette dépose sur l’archet de Marion, insatiable et languide, tanguant comme un volcan. C’est aussi un mois du calendrier pataphysique à cheval entre mars et avril. Ça bourgeonne.

Le troisième élément de cette alchimie, c’est l’alto de Philippe Berger, qui vient de la musique contemporaine. C’est le chaînon manquant, le provocateur des fêlures par lesquelles se propage la lumière. Dans la longue improvisation « Clignements », c’est lui qui ferme ou ouvre les brèches, griffe l’unisson de ses compagnons et détermine l’inclinaison des plans tirés collectivement, jusqu’au silence. Ce dernier est cependant intranquille : la clarinette racle les profondeurs, se confond au violon alto, la contrebasse se rassemble, comme des petits cailloux prêts à s’unir pour faire une montagne. Il faut être attentif à chaque son qui nous traverse, nous autres atomes dans la multitude, enclins à transmuter dans les mouvements infimes.

Paru sur le label Creative Sources, qui a toujours porté une attention particulière aux cordes et surtout à l’alto, ce disque a été capté lors d’un concert donné à Radio France en 2017 dans le cadre de l’indispensable émission A l’improviste d’Anne Montaron. S’il en était besoin, il démontre l’excellence du travail du son par les techniciens de la Maison Ronde, mais il témoigne également de la nécessité impérieuse qu’un espace de création soit conservé à la radio pour pouvoir profiter de ces instants uniques. Les entrechocs des atomes du Clinamen ne peuvent être réduits au silence pour quelques économies d’échelle supportées par la création.