Chronique

Louis-Michel Marion

5 strophes

Louis-Michel Marion (b).

Label / Distribution : Kadima

Ne cherchez pas la mélodie, vous risqueriez de ne pas la trouver. Ici, pas de notes délicatement assemblées en vue de composer un « air » ou toute autre forme de musique, au sens traditionnel du terme, celle qu’il serait possible, par exemple, de fredonner. Louis-Michel Marion n’est pas de ceux qui en appellent au chant, parce qu’il appartient avant tout à l’espèce, souvent tapie dans l’ombre, des musiciens qui sondent leur instrument de prédilection au plus profond de ses entrailles, comme s’il était question de lui extorquer des richesses cachées, par tous les moyens. Parce qu’un instrument est un être vivant, porteur d’une voix unique, a priori silencieuse, que seule l’union avec le corps du musicien lui-même pourra faire entendre, à force de défis lancés sous la forme de duels (ou de duos) dont le caractère sensuel n’échappera à personne.

Celui qui fut autrefois bassiste de rock, mais aussi élève de Jean-François Jenny-Clark et de Pierre Hellouin, est parfois qualifié de générateur de son. Il se consacre essentiellement à l’improvisation depuis une quinzaine d’années, en se nourrissant entre autres des travaux de musiciens tels que Joëlle Léandre, Giacinto Scelsi, Barre Phillips, Daunik Lazro, Iannis Xenakis, Salvatore Sciarrino ou Morton Feldman. C’est par ailleurs un récidiviste du corps à corps en solitaire avec la contrebasse, lui qui avait déjà tenté l’aventure en solitaire avec Grounds (Emil, 2012), poussant le bouchon de ses introspections jusqu’à n’utiliser qu’une seule corde, la plus grave, au long d’un album exploratoire assez troublant. Avec 5 strophes (Kadima Collective), Marion affirme une fois de plus sa volonté d’extirper des cordes de sa contrebasse toute la vie qu’elle contient, jusqu’au dernier souffle. Adepte de l’arco, technique consistant à frotter les cordes avec l’archet, il devient alors le récepteur, puis l’émetteur de vibrations qui viennent occuper l’espace pour dessiner une matière sonore, mouvante et rendue palpable, tant son travail sur les résonances, le grain et les couleurs permet à chacun de la ressentir physiquement. Comme une sculpture de l’invisible. On n’écoute pas cette musique, on la reçoit au creux de l’estomac, lancinante et sombre, animée d’un mouvement continu, telle la chorégraphie d’un combat entre forces intérieures dont la tension ne faiblit jamais ; elle entrouvre les portes d’un inconnu attirant et inquiétant en proportions égales.

Louis-Michel Marion ne fournit pas avec 5 strophes un disque clés en main, un objet docile qu’il suffirait de glisser dans le lecteur pour comprendre : il faut faire l’effort de l’apprivoiser et se laisser emporter sans réserve pour lui donner vie. Car sa volonté est d’abord de questionner et de nous entraîner dans son univers introspectif. Mais tenter cette aventure avec lui, pénétrer son monde hypnotique d’ombres et de lumières, c’est aussi accepter d’embarquer pour un voyage magnifique dont l’issue promet une élévation de l’esprit. Le jeu en vaut la chandelle.