Chronique

Emmanuel Bex / Nico Morelli with Mike Ladd

B2Bill

Emmanuel Bex (hammond, voc, fx, elec), Nico Morelli (p, elec, perc), Mike Ladd (voc)

Label / Distribution : Bonsai Music

C’est un bien étrange hommage auquel nous convie le célèbre joueur d’orgue Hammond Emmanuel Bex. Une visite unique dans l’intimité d’une grande figure du jazz américain, en amoureux plutôt qu’en tendre iconoclaste. Quelques mois après avoir « invité » Bartók au sein de son Open Gate, c’est à Bill Evans qu’il consacre ce B2Bill, en compagnie du pianiste Nico Morelli et du poète Mike Ladd, venu poser son élégance dépoitraillée et ses textes saisissants sur bon nombre de morceaux. L’album s’ouvre ainsi sur le célèbre « Peri’s Scope », que Bill Evans enregistra avec les indéfectibles Scott La Faro et Paul Motian sur Portrait in Jazz. Les claviers et la voix capiteuse de Ladd rendent ce titre plus lascif, empreint d’une nostalgie où l’électricité et les boucles jouent un rôle foncièrement onirique. On songe parfois, notamment lorsque des voix « vocodées » viennent caresser une musique très recueillie, à une forme électronique planante et hors du temps (« Bill In Space »)

Le jeu unique d’Evans et son art du trio sont au centre de B2Bill. L’orgue de Bex permet bien sûr d’accentuer son phrasé au délié inimitable. Mais au fil des morceaux, le jeu cristallin de Morelli s’amalgame à merveille avec l’approche rythmique de l’organiste. Dans un morceau comme « Funkallero », l’orgue se mue en une contrebasse impavide qui offre toute latitude aux errances mélodiques de l’Italien. Ces deux-là sont si complémentaires que le propos, avant tout collectif, rend hommage à la belle musicalité des trios de Bill Evans. Morelli et Bex échangent, donnent leur point de vue sur cette musique et ce qu’elle a apporté au jazz. « Twelve Tone Tune », par exemple, permet cet échange permanent, presque ludique, qui perdure avec « Children’s Play Song » et sa douceur fragile.

Si individualité remarquable il y a, elle réside dans chaque intervention de Mike Ladd. Sa présence illumine l’album, à commencer par « Five », où sa voix s’allie à celle d’Evans dans une forêt d’ostinatos. En revanche, le grand écart entre modernité et tradition voulu par Bex laisse circonspect quant aux voix synthétisées. Certes, elles créent la surprise sur « B Minor Waltz », mais nous laissent souvent de marbre. Passé cet écueil, on aime à se perdre parmi les mots susurrés par le poète et on se laisse séduire par ce parcours amoureux où se croisent fragilité et cristallisation, déclaration et souvenirs, complexité et bonheur simple.