Chronique

Louis-Michel Marion & Françoise Toullec

Apocalyptic Garden

Françoise Toullec (p), Louis-Michel Marion (b).

Label / Distribution : Creative Sources

Quand deux artistes funambules font un bout de chemin ensemble, on sait d’avance que le voyage sera aussi, pour eux comme pour nous, une aventure différente. La pianiste Françoise Toullec et le contrebassiste Louis-Michel Marion ont temporairement quitté leur Banquise pour entrer dans un drôle de jardin, plutôt énigmatique, qu’on découvre pas à pas et qui s’avère réjouissant de bout en bout. On n’y trouve ni corde ni hibou, seulement une bonne dose de mystère. Celui de cette comprovisation - quelque part entre composition et improvisation – si chère à une musicienne dont les quêtes peuvent parfois exiger d’aller au-delà des quatre-vingt-huit touches habituelles de son instrument.

L’étymologie du mot « apocalyptique » nous dit qu’il s’agit de lever le voile. Alors fermez les yeux, puis ouvrez-les doucement, parce que toute votre attention est requise. Laissez-vous emporter dans un espace indéfini aux couleurs nocturnes, entre inquiétude et sérénité, là où le silence est parfois de mise. Le temps s’égrène lentement, au gré d’une déambulation volontiers dissonante qui pourrait n’avoir jamais de fin. Si la musique est souvent mélodie et harmonie, celle qui se joue du côté de cet Apocalyptic Garden est d’une tout autre nature. Elle est conversation de sons, d’échos et de bruits, de notes qui s’échappent telles des bulles éphémères, de frottements ou de pincements de cordes, celles du piano comme celles de la contrebasse ; elle est imagination ; elle est échange de regards ; elle suggère d’autres directions. Est-elle végétale ? Animale ? Allez savoir, à vous de chercher dans les interstices de ce lieu secret, aux contours incertains, pour deviner la nature des créatures invisibles qu’on y rencontre en les imaginant plus qu’en ne les voyant… Surtout, faites confiance à ces deux guides impatients de vous embarquer avec eux. Il y a dans leur échange une curiosité et une passion partagées, mues sans doute par la volonté d’aller voir ailleurs si nous n’y serions pas tous mieux qu’en notre monde matériel. Mais c’est aussi leur être profond qui s’exprime en connexion directe avec le nôtre, porté par la générosité qu’on leur connaît depuis longtemps.

Enregistré au mois de janvier 2021 au CCAM-Scène Nationale de Vandœuvre-lès-Nancy, Apocalyptic Garden a les allures d’une cérémonie de l’envoûtement. Il est aussi une invitation à nous retrouver, à nous rapprocher, après tous ces mois où l’autre était trop souvent pointé du doigt parce qu’ennemi potentiel. L’apocalypse selon Françoise Toullec et Louis-Michel Marion, essentielle on l’a compris, est bien pour aujourd’hui, qu’on se le dise…