Chronique

Couturier – Méchali – Laizeau

Musica Callada

François Couturier (p), François Méchali (cb), François Laizeau (dm)

Label / Distribution : Zig-Zag Territoires

La musique est ici inspirée par Federico Mompou (1893 – 1987), compositeur catalan, auteur d’une œuvre impressionnante, en quantité et qualité, qui s’étend sur sept décennies. Mompou fut contemporain de Joan Miró, lié à Prokofiev, de Falla, Villa-Lobos, Milhaud, Poulenc et Arthur Rubinstein, et a correspondu avec Paul Valéry et Vladimir Jankélévitch [1]. Les « Trois F » y interprètent, explorent et réinventent neuf pièces de Musica Callada (littéralement « musique silencieuse » ou « musique du silence », série de vingt-huit pièces composées entre 1959 et 1967, inspirées par Saint Jean de la Croix), « Impresiones Intimas », « Cancion y Danza » ainsi que le « Septième Prélude ». Les autres titres sont des compositions et/ou improvisations en solo ou trio.

Quand on connaît l’intérêt et le plus souvent l’admiration que beaucoup de jazzmen portent à la musique européenne du début du XXème, il n’est pas étonnant qu’après Richie Beirach, par exemple, des musiciens comme ceux-ci (qui se connaissent de longue date) se soient intéressés à l’univers musical de Mompou (qui ne se définissait pas lui-même comme compositeur [2] dont le caractère essentiel réside dans l’intensité d’expression via le maximum de simplicité et d’économie de moyens ; Jankélévitch écrivait alors : « Ce que veut Mompou, à la recherche de la « solitude sonore », c’est atteindre le point inatteignable où la musique est devenue la voix même du silence, où le silence lui-même s’est fait musique… » ; et le critique musical Emile Vuillermoz de renchérir dans son Histoire de la Musique : « Mompou a écrite des pièces de piano d’un raffinement exquis et d’une étonnante puissance d’évocation […] cela révèle chez cet inspiré une aptitude singulière à traduire l’intraduisible et à transposer dans le domaine des sons des sensations et impressions qui semblaient devoir échapper par définition à toute notion musicale. » Autre caractéristique : le rejet de tout folklorisme, apport/rapport aux traditions populaires ou autres espagnolades, ainsi que du sérialisme ou dodécaphonisme en vogue à l’époque.

C’est donc à ce monument méconnu de la musique que le trio rend hommage [3] en jouant et en se jouant de quelques pièces avec à la fois le respect et l’apport personnel de chacun, plus quelque malice particulière au trio. L’esprit, donc, plutôt que la lettre, alliage d’une grande spiritualité et d’une volonté ludique affirmée par l’alternance de morceaux du maître et d’improvisations en solo ou trio. On retrouve ici toutes les qualités de chaque musicien, qu’il serait superfétatoire de rappeler, en parfaite osmose avec une œuvre sublime qui reste à découvrir.

A signaler le très beau texte d’accompagnement de Bernard Aimé et les photos d’Olivier Degen, qu’il s’agisse des portraits ou des trois compères riant aux éclats. Ce disque lumineux et jubilatoire, aboutissement des trop rares concerts donnés depuis quatre ans, est l’un des événements de la rentrée.

par Jacques Chesnel // Publié le 13 septembre 2010
P.-S. :

A écouter : l’intégrale de Musica Callada par Javier Perianes (Harmonia Mundi/Iberica)

[1Lire de Jankélévitch : La Musique et l’ineffable, Fauré et l’inexprimable, Debussy et le mystère de l’instant, La pensée lointaine (Albeniz, Déodat de Séverac, Mompou).

[2« Je crois tout simplement que je suis une « musique » dont je suis convaincu que ce n’est pas moi qui la fais, car j’ai toujours la sensation qu’elle vient en moi de dehors ».

[3F. Couturier s’y était déjà essayé sur scène en compagnie de Larry Schneifer.