Chronique

Daniel Casimir & l’Ensemble Squillante

Spaccata

Daniel Casimir, trombone alto et composition ; Ensemble Squillante, nonette de saxophones

Label / Distribution : Sonogramme

Après Eros et Thanatos, projet jazz augmenté d’un quatuor à cordes et Yolk en cuisine, quintet aérien, le nouveau répertoire entièrement écrit par le tromboniste Daniel Casimir surprend encore par sa qualité et son audace. Avec l’ensemble Squillante, composé de neuf saxophonistes issus du monde de la musique dite classique, il propose un voyage étonnant voué à présenter un nouvel instrument dont il est l’instigateur : le trombone alto qui porte son nom « Casimir Alto ».

Il s’agit de pièces écrites pour le nonette de saxophones, sur lesquelles le tromboniste improvise. L’ensemble Squillante est parfait. La précision et la pureté de ses attaques sont enrobées par le velouté du trombone alto improvisateur. Une main de fer dans un gant de velours. Grâce un grand sens de l’harmonie et du contrepoint, doublé d’une sérieuse connaissance en organologie, l’écriture de Casimir, interprétée par cet ensemble de haute volée, produit, dans les accords et les tutti, des mélanges de timbres aux effets étourdissants : bandonéon, orgue, accordéon, klaxons et parfois orchestre symphonique, fanfare, brass band. On est surpris par la clarté de la sonorité de l’alto, plus légère, plus ouverte qu’un ténor. D’ailleurs, quatre plages sont des improvisations solo à l’alto dans la tradition du trombone jazz, pleine d’effets (sourdine, growl, etc) qui donnent du relief aux tirades et laisse l’instrument se révéler pleinement.

Deux pièces sont écrites pour l’ensemble Squillante seul : une suite en trois mouvements énergiques, à sept temps, aux multiples contrepoints, qui semblent ne jamais vouloir s’achever, et un morceau où le saxophoniste basse est à l’honneur. Et l’on se dit que Thomas Barthélémy aurait bien des choses à dire à Fred Gastard… Une seule reprise, « Les Alpes vues de Paris », pièce composée pour le trompettiste Matthias Schriefl (sur Six, Alps & Jazz) et réarrangée pour l’occasion. On peut d’ailleurs comprendre ce qui lie les deux musiciens, car Schriefl est également adepte du crossover, du « trans-genre », lui qui arrange les airs traditionnels d’Allgäu pour son orchestre débridé. De plus, tout deux partagent un même sens de l’humour musical au sein de l’European TV Brass Trio.

Spaccata est une œuvre inspirée et ces inspirations sont à l’image du tromboniste : sérieusement délirantes. On passe de structures contemporaines contenues, propices au recueillement, à des pièces dansantes, swinguantes, où l’humour est le fil conducteur. On peut en trouver la meilleure illustration dans la pièce maîtresse éponyme, que l’auteur qualifie de « grand écart » entre les souvenirs du Groove Gang (dont il était membre) et l’influence de la musique contemporaine. Mais on y entend également des réminiscences des liturgies gospel, des vibrations de funk, de Ravel, de Stravinsky…

La plupart des morceaux comprennent une double respiration : la grande phrase musicale qui balance comme une marée lente, en flux et reflux, qui forme des motifs mélodiques en boucle. Dessous, l’écriture complexe, pointilliste, hachée et nerveuse contribue à évoquer un seul instrument à soufflets ou tuyaux. Car le « grand écart » en question ici vise moins au télescopage entre ensemble contemporain et improvisateur de jazz, qu’à la fusion de dix instruments à vent grâce à une écriture tenue, destinée donner une impression d’unité libertaire. Encore une fois, c’est la beauté des compositions qui procure tout le plaisir d’écoute - la musique est à la fois très structurée, ciselée, et très accessible, agréable.

Ce projet, Daniel Casimir le porte depuis des années. Aussi cet album n’est-il pas seulement un disque ; c’est un coffret, un objet de collection. En tout, vingt-deux pièces, plus d’une heure de musique sur le CD et un bon quart d’heure de documentaire sur DVD. Le film présente le tromboniste et son luthier, Josef Gopp, dans l’aventure qui les a conduits à imaginer, fabriquer et perfectionner le fameux trombone alto jazz. Le livret, en trois langues, propose également deux entretiens imaginaires avec la « Police du jazz » - de l’incongruité d’improviser avec un ensemble contemporain… Un humour casimirien qu’on retrouvait dans ses précédentes œuvres, tel le roman photo du Génome de la vache avec « Yolk en cuisine ».