Chronique

Daniel Casimir et Yolk en cuisine

Phonotaxis ou le génome de la vache

D. Casimir (tb alto), A. Darche (as, bars), S. Boisseau (b), J-L. Pommier (tb), M. Donarier (ts, cl, bcl).

Label / Distribution : Yolk Records

« Phonotaxis », le morceau-titre, sert de référence pour comprendre l’écriture de Daniel Casimir. Découpage en petites séquences - nodules dentelés, du thème principal, écriture contrapuntique avec une inclinaison marquée pour l’art de la fugue, utilisation en miroir des pupitres, émergence cyclique d’un soliste – la prise de parole est collective et égalitaire -, raffinement des mélodies (leur simplicité accessible cache mal l’exigence de leur écriture), et enfin épuration maximum du matériau sonore : l’air circule entre les notes et cette légèreté donne à sa musique la tension et la précision qui font de Casimir un compositeur exigeant. L’introduction trombone alto/clarinette d’« If I Should Lose You Now » en est un exemple à couper le souffle.

L’instrumentation est l’une des particularités élégantes de ce Phonotaxis ou le génome de la vache : un trombone alto (instrument peu usité en jazz, à tort car mieux adapté au registre souvent utilisé) tenu par Daniel Casimir ; un trombone ténor, celui de Jean-Louis Pommier ; deux saxophones (alto et baryton) tenus par Alban Darche ; un saxophone ténor, une clarinette et une clarinette basse que maîtrise Matthieu Donarier, et la contrebasse de Sébastien Boisseau. Beaucoup de vent, de cuivre, de bois. De l’air !

Ce dispositif et ses multiples combinaisons offrent un équilibre parfait entre les registres grave et aigu, s’adaptent à la dynamique de chaque thème et se nuancent de couleurs différentes selon les séquences. Ces musiciens au talent reconnu trouvent là l’occasion de briller sans fausse modestie. L’opposition très bien exploitée entre le feutré et le glissant des trombones et le claquant et la profondeur des anches et des cordes rend l’ensemble très rythmique. Le slapping des saxophones et clarinettes, associé à celui de la contrebasse évoque toutes les percussions possibles. Casimir, en esthète du timbre, propose des arrangements très particuliers qui poussent chacun des musiciens à utiliser au plus serré les possibilités sonores de son ou ses instruments. « Garotaxis » enchaîne les épisodes très contrastés sur une pulsation entêtante, alternance de tutti et de soli où le timbre de chaque instrument est mis en avant. Sur « Interior Intimo Meo », c’est l’écriture en tuilage des cuivres qui entoure la contrebasse soliste d’un halo tendu.

Les membres du collectif Yolk, par leur participation en leader ou en sidemen à différents groupes, sont impliqués dans la moitié ou presque des projets jazz d’avant-garde intéressants en France, voire en Europe. Ces cinq mousquetaires de la création n’avaient, jusqu’à présent, jamais enregistré ni joué ensemble. Ce (Yolk en cuisine) est donc la cerise sur un gâteau déjà largement reconnu et apprécié. Après quelques concerts de rodage, l’enregistrement au Studio de l’Ermitage (Paris) et au Quatrain (Basse-Goulaine, 44) du corpus composé pour l’occasion est une bonne nouvelle.

Le coffret « yolk.box » est à lui seul un argument de vente. Outre le format original (c’est la nouvelle idée du label : des coffrets cartonnés, numérotés à la main et contenant diverses surprises) l’accent est mis sur la dérision. Un vrai roman-photo avec bulles fait office de livret et peut devenir une affiche à punaiser au mur de la chambre. Il y est question de la vache Radieuse et d’une de ses journées-type, entre café avec les copines et séances de gym… Et « Le Génome de la vache » conclut le disque officiel. Enfin, comme pour le précédent, on trouve ici en « bonus » trois remixes de ses compositions réalisés sur commande pour l’occasion ; ils montrent une fois encore qu’il n’est pas plus sérieux que celui qui pratique l’autodérision. C’est le cas de Daniel Casimir, travailleur acharné et perfectionniste talentueux, mais toujours prêt à faire rire.