Chronique

European TV Brass Trio

Wunschklang

Matthias Schriefl ; tr, bugle, voc, percu / Daniel Casimir ; trb, voc / François Thuillier ; tuba, voc

Wunschklang, de l’allemand – littéralement - « son souhaité ». Par extension, un choix de sonorité obtenue, notamment par les égaliseurs sur les appareils Grundig d’antan…

Ce n’est pas un hasard si ce trio, nouvellement constitué, a choisi d’intituler ainsi son premier disque. Chacun des trois musiciens agit comme un égaliseur sur la musique : les basses (François Thuillier au tuba), les médiums (Daniel Casimir au trombone) et les aigus (Mathias Schriefl à la trompette).

D’abord il y a le son : cuivré, aérien, aux fréquences cousines. Un son d’ensemble étonnant parfois, mais parfaitement cohérent. De plus, on y entend le fameux Wunschklang ; ces sonorités étranges qui habillent les arrangements. Des sonorités naturelles, maîtrisées, sans le moindre recours à l’électronique ou au montage, un son live, un son vrai. C’est le premier point. Leur maîtrise technique est impressionnante. Tout y passe : souffle continu, growl, slap, chant, trilles, harmoniques… la palette des couleurs est complète.

Ensuite, il y a la musique, les thèmes et leurs arrangements. Les onze compositions personnelles (dont « Scène égale », un auto-standard de Daniel Casimir) ont en commun deux aspects identitaires. Le premier est religieux. On retrouve, et l’analogie est facile à saisir, des éléments qui appartiennent au chant grégorien et au gospel. Absence de rythmique, polyphonie à trois voix, plain-chant, contrepoint, call and respons, forme chorale, pulsation processionnelle… Cet aspect religieux n’est pas une volonté d’écriture mais procède plutôt d’une résurgence inconsciente des racines historiques de l’écriture contrapuntique. La seule différence est le traitement presque paillard de ces emprunts, comme le feraient trois moines de Saint-Bernardin. « Mama » en est un bon exemple où, après une première partie très écrite, en forme de choral, le morceau bascule dans une improvisation collective possédée.

Le deuxième aspect est musical. Il concerne aussi l’histoire de ces musiciens et illustre le cheminement de leur jeu : leurs racines plongent profondément dans l’histoire du jazz, jusqu’à sa préhistoire. On ressent alors, par les sonorités, par les effets d’appels et de réponses, par les improvisations collectives, l’héritage néo-orléanais. « Songyl, the Last Rose » évoque sans conteste la marche d’un enterrement dans le quartier français de la Nouvelle-Orléans. Quant à « Zwei Landschaften », il résume à lui seul tout le disque : lent solo de trombone très inspiré, pulsation de procession, improvisation collective enlevée… Pour enfoncer le clou, la dernière plage, « In Lockerer, fast Ungezwungener Atmosphäre », offre un final exagéré et assumé, celui d’une fanfare louisianaise en pleines libations.

Enfin, l’humour est omniprésent, dans le jeu, les arrangements, mais aussi dans la forme : voir les photos de pochette, signées Casimir et réalisées au Lomo, en surimpression.

Pour parfaire ce magnifique disque, quatre remixes sont proposés en bonus. Le principe consiste à n’utiliser que les sons du disque, sans ajout extérieur. Celui de Kanding Ray est nettement au-dessus du lot, et donne envie de ré-entendre tout le disque traité de la même manière. Ce ne sont que sonorités urbaines, cacophonies de klaxons, bruits de trains d’où émerge une sourde pulsation, ronde, ininterrompue, volcanique, menaçante. Tous les sons sont mélangés, malaxés, et forment une pâte sonore unique. Les trois autres, plus proches des mélodies d’origine, reprennent le matériau musical par bribes, en le montant simplement.

Ce nouvel European TV Brass Trio, qui a de beaux jours devant lui, permet de faire découvrir au public français le facétieux et dynamique Mathias Schriefl. Quant à François Thuillier et Daniel Casimir, leurs collaborations régulières (Wonder Brass Factory, François Thuillier Trio) sont autant de pierres qui constituent leurs piédestals.