Portrait

Daniel Casimir, l’air du trio

Portrait du tromboniste et tubiste allemand à l’occasion de la sortie de Bootleg, un disque en trio très aérien.


Daniel Casimir © Ziska

Daniel Casimir partage avec Avishai Cohen l’inconvénient d’une homonymie professionnelle assez rare dans le jazz. Lui qui pendant longtemps fut le seul à porter ce patronyme doit maintenant le partager avec un plus jeune contrebassiste britannique.
Pour les français.es qui écoutent du jazz depuis au moins les années 1990, Daniel Casimir - le vrai, le seul - c’est la référence en matière de trombone orgiaque et contemporain.

Longtemps membre du Groove Gang, il a ensuite monté l’ensemble déjanté Wonder Brass Factory puis s’est associé au collectif Yolk, dont le label a produit quelques beaux disques exigeants. Le parcours de Daniel Casimir passe ensuite par Barcelone puis Berlin où il réside maintenant.
C’est là qu’il enseigne le trombone et développe d’autres talents comme celui de tubiste, récemment. La recherche organologique ne l’a jamais quitté, lui qui, il y a plus d’une dizaine d’années déjà, avait inventé un trombone alto avec l’aide d’un facteur aventureux. Aussi à l’aise dans le jazz improvisé que dans les grooves les plus déjantés en passant par des écritures contemporaines très ciselées et à la limite des canons de la musique occidentale, le musicien vient de participer à un projet qui sort cette année, un trio qui réunit un autre tromboniste/tubiste, Gerhard Gschlößl et la saxophoniste et compositrice Silke Eberhard, ici également avec deux instruments coréens à cordes et vent, le gayageum et le taepyeongso.
La sortie de Bootleg, un concert enregistré en juillet 2022, est l’occasion de renouer avec le tromboniste francophone et francophile.

Daniel Casimir © Ziska

- Comment s’est monté ce trio ?

Silke Eberhard a un duo avec Maike Hilbig, Matsch und Schnee. Ce duo est de temps en temps complété de manière assez originale par trois trombones, Gerhard Gschlößl, Geoffroy de Mazure et moi-même. Il est prévu de réaliser un enregistrement un jour, d’ailleurs.
Quand Gerhard a reçu une carte blanche pour ce concert au Widerstands-Museum, il a eu envie de le faire avec Silke et moi, avec l’idée de faire des solos et des trios en alternance. Au départ, ce n’était que pour cette soirée, mais la soirée a été super ! Nous avons beaucoup aimé improviser ensemble et le public était enthousiaste. Comme nous avions enregistré le concert, nous avons décidé de le sortir en CD, et nous envisageons de refaire d’autres concerts ensemble !
L’alternance entre les solos et les trios va probablement rester la marque de cette formule. Nous avons une approche commune de l’improvisation et prenons beaucoup de plaisir à partager la scène. Tout cela avec naturel.
Peut-être pourrons-nous jouer en France un de ces jours, qui sait ?

- Vous êtes au trombone et au tuba, comme Gerhard Gschlößl, pourquoi ces deux instruments ?

Mon amour pour le tuba a été déclenché par mon ami François Thuillier, qui est l’un des meilleurs ambassadeurs au monde pour ce magnifique instrument !
Gerhard et moi doublons tous les deux au tuba en mi-bémol.
Comme nous avions déjà - à plusieurs reprises - improvisé ensemble à deux trombones, nous avons eu envie d’intégrer les tubas à l’occasion de ce concert. Le possibilité de pouvoir se retrouver à deux tubas, à un trombone et un tuba ou à deux trombones selon les moments nous amuse et apporte une palette de couleurs de sons peu commune. Comme, en plus, Silke double sur deux instruments coréens, le gayageum et le taepyeongso, ça élargit encore plus la palette du trio.

- Vous avez été à l’origine d’un modèle spécial de trombone alto, que devient-il ?

C’est mon instrument principal, pour moi le meilleur trombone qui existe. Il a été fait par Josef Gopp, fantastique facteur de trombone en Bavière. Pour le moment, ça reste un secret plutôt bien gardé, car pour ce genre de changement d’instrument il faut vraiment du temps avant qu’il s’établisse dans l’histoire des instruments.
D’ailleurs, ce « Casimir Alto » n’est pas vraiment un trombone alto et ne permet pas non plus de jouer spécialement plus aigu. Il permet plutôt d’habiter le registre du trombone différemment. Je m’explique : on fabrique des trombones ténor et des trombones basse en si bémol. La différence réside dans la façon de les construire. Pour mon trombone, en quelque sorte, on a fait un trombone en mi bémol mais à la façon dont on fabrique les trombones basse en si bémol. On obtient alors un trombone ténor en mi bémol au lieu d’un trombone alto. C’est très intéressant pour le registre le plus utilisé dans le jazz. J’espère que c’est compréhensible expliqué comme ça !

- Après une longue période de résidence en France, vous étiez à Barcelone et, finalement, de nouveau résident allemand. Quelle est votre activité de musicien à Berlin ?

Je partage mon temps entre mes activités de composition, d’arrangement et d’enseignement. Cette année, je dirige aussi un ensemble de dix trombones avec mes compositions au Jazz-Institut Berlin, la classe jazz de l’Universität der Künste Berlin (l’équivalent de la classe de jazz du CNSM de Paris) dont Geoffroy de Masure, qui en est à l’initiative, est le professeur principal. Contrairement à mes années parisiennes, ici je double maintenant sur plusieurs instruments : le tuba, l’euphonium et même le saxhorn alto (appellé la pichotte). Ça m’amuse beaucoup !
J’ai pu collaborer avec des musiciens et des ensembles très intéressants et variés comme Stefan Schultze, Peter Ehwald, Sebatian Studnitzki, l’Andromeda Mega Express Orchestra, l’ensemble Zafraan et Einstürzende Neubauten, pour en nommer quelques-uns.

par Matthieu Jouan // Publié le 5 février 2023
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