Scènes

David Chevallier : « Is that pop music ?!? »

Après avoir revisité Gesualdo, Pavese ou Buzzati le guitariste s’attaque aux chansons pop de son adolescence.


Après avoir visité les madrigaux de Gesualdo et mis en musique le pessimisme flamboyant de Pavese ou l’aridité de Buzzati, le guitariste s’attaque désormais aux chansons pop anglo-saxonnes de son adolescence. Sans mépris ni facilité, un travail de relecture qui leur donne une autre couleur, une autre vie.

David Chevallier est un fidèle du Trianon Transatlantique de Sotteville-lès-Rouen, qui le lui rend bien. C’est devant une salle pleine qu’il vient présenter son nouveau spectacle, tout comme à la création de The Rest is Silence il y a quelques années. D’ailleurs, certains de ses comparses sont toujours là, tels Denis Charolles, Michel Massot ou Yves Robert [1]. Il faut y ajouter cette fois Christophe Monniot, que l’on est ravi de revoir sur scène au côté de Charolles, pour son jeu tout en ruptures, précieux dans ce genre d’exercice. La grande surprise est la présence de David Linx : de prime abord, les taxidermistes du jazz qui ne jurent que par les étiquettes ne rangent pas ce chanteur dans le même tiroir que Chevallier. C’est pourtant avec verve et enthousiasme qu’il apporte sa justesse, la richesse de son timbre et son exceptionnelle maîtrise rythmique à l’interprétation de chansons pop qui n’en sont plus vraiment…

« Is that pop music ?!? » interroge, un brin provocatrice, l’affiche du concert. La question ne se pose pas longtemps : dès le premier morceau on se dit que U2 n’y retrouverait pas ses petits, ou alors passés au kaléidoscope de nos improvisateurs. Le thème n’est ni prolongé ni lesté de digressions harmoniques (c’est le risque dans ce genre d’exercice) ; ce serait mésestimer David Chevallier, qui dirige son sextet avec précision tout en oscillant entre solos enflammés et sculpture de la pesanteur du silence.

David Chevallier © Franpi Barriaux

Au contraire, le thème est désarticulé, investi par les musiciens à tel point qu’il entre souvent dans un tout autre univers, se démembre puis se reconstruit pendant que Linx décompose les paroles en scats impeccables et s’appuie tour à tour sur les éclats du trombone ou les tirades de Monniot. La construction collective est telle qu’on en viendrait à trouver « Seeds of Love » (Tears for Fears) intéressant et plein de ressources. C’est dire la performance !

Comme toujours, Charolles exulte dans cette incursion en musique populaire. Il joue avec enthousiasme de sa complicité ancienne avec la plupart des musiciens, à commencer par un Chevallier qu’il connaît par cœur, fait usage de son habituel attirail hétéroclite pour explorer les tréfonds d’un binaire languissant ou, au contraire, faire feu de tout bois lorsqu’il retrouve les fougueuses envolées d’un Monniot ahurissant au soprano. Cette complicité permet notamment des merveilles de contrepoints dans ce qui est certainement ici une des adaptations les plus réjouissantes, le « She Said, She Said » [2] de Lennon dont le travail rythmique de Massot au tuba est la base inébranlable.

Is That Pop Music ?!? © Franpi Barriaux

Infatigable, Massot ! Il y a un jubilation à surprendre sa complicité avec Yves Robert, ou à entendre son tuba muter en Sting démesuré pour « Message in the Bottle » (Police), morceau pivot du concert et plage visiblement récréative pour les musiciens, qui y prennent autant de plaisir que le public.

La motivation de Chevallier pour ce spectacle tient en peu de mots : rendre hommage aux pépites musicales ayant ponctué son adolescence, alors que ses goûts déjà très affirmés rejetaient les bluettes sans lendemain des radio commerciales. On ne sera pas étonné dès lors d’y trouver un second titre des Beatles, « Come Together » [3], qui sonne ici comme une éclatante invitation à l’improvisation collective. Toutefois, pour réussir à donner du relief à un titre de Duran Duran, il faut une sacrée dose de talent et d’inventivité. Mais les conditions sont réunies et la tournée ne fait que commencer…

par Franpi Barriaux // Publié le 2 novembre 2009

[1Qui forment depuis longtemps le noyau dur de la plupart de ses projets.

[2Présent sur Revolver des Beatles et enregistrée début 66, c’est une des premières chansons des Beatles écrite sous LSD.

[3L’un des plus groove il est vrai.