Chronique

Dizzy Gillespie Quintet, Hans Koller New Jazz Stars

NDR 60 Years Jazz Edition

Dizzy Gillespie (tp, voc), Bill Graham (bs), Wade Legge (p), Lou Hackney (b), Al Jones (dm), Hans Koller (ts), Albert Mangelsdorff (tb), Jutta Hipp (p), Shorty Roeder (b), Karl Samner (dm)

Label / Distribution : Moosicus Records

La NDR de Hambourg met désormais à la disposition des amateurs une première série d’enregistrements réalisés dans ses studios à partir des années 50. Pour être exact, le concert du Dizzy Gillespie Quintet du 9 mars 1953 avait déjà fait l’objet d’une publication plus ou moins pirate en LP, en Italie, sous le label Raretone. Mais la prise de son (excellente) est encore mieux restituée aujourd’hui, et en prime on a l’autre concert du même jour, celui du groupe de Hans Koller avec Jutta Hipp au piano. Ce dernier a fait l’objet d’une édition officielle en France par le label Vogue dès la fin des années 50, avec davantage de titres. Voilà pour les indications discographiques, et pour vous éviter l’erreur de croire que tout cela est entièrement neuf. Regardez bien vos vinyles et vos CD.

Le 9 mars 1953, en tous cas, Gillespie est en grande forme. On dit que sa trompette a été malencontreusement « coudée » les jours précédents aux USA par accident, et qu’il joue avec un instrument neuf en attendant que le constructeur lui fabrique une vraie coudée d’usine, dont il entend mieux le son paraît-il. Au fond, qu’importe, il joue comme un dieu, transperce l’espace de fusées sonores et sifflantes, donne une version de « They Can’t Take That Away From Me » encore meilleure que celle de la session Dee Gee Days d’un an plus tôt, « Manteca » est excellent, et « I Can’t Get Started » d’une simple et délicate poésie.

La surprise (elle est bonne) vient du contraste total entre ce que jouent les Américains ce jour-là, et le répertoire, et surtout la manière du groupe de Hans Koller. Saxophoniste ténor superlatif, il s’exprime dans un style inspiré de Lennie Tristano, prend ses identifications du côté de Zoot Sims ou Warne Marsh, révèle au sein de sa formation un tromboniste promis à un bel avenir (Albert Mangelsdorff), et une pianiste qui va faire les beaux jours des clubs de New York et du label Blue Note avant de tomber dans un oubli total qui la verra abandonner le piano, la musique, et disparaître en 2003, habitant toujours la cité de la pomme, dans une misère assez radicale. Elle s’appelait Jutta Hipp, jouait plutôt bien mais sans grande originalité, et a donc réalisé trois disques pour Blue Note, dont un avec Zoot Sims. La semaine de son décès, un exemplaire du premier pressage de son disque se vendait plus de 1 500 dollars sur un site de vente aux enchères… Tout cela est anecdotique, mais écoutez cette séance de 1953, c’est du bon.

Cela dit, on comprend à l’écoute de ces prises la réaction des critiques de l’époque, même de ceux qui se revendiquaient du bop et du modernisme. A la musique extravertie de Gillespie, Koller oppose un travail plutôt lisse, parfaitement exécuté, d’une veine intelligente et musicalement irréfutable, mais qui a pu passer pour - au mieux - d’une froideur glacée, et au pire d’une totale indigence. Manque de corps, disait-on, et on sous-entendait que la blancheur de l’exécutant n’était pas pour rien dans le manque de couleur du produit… Il fallait attendre un peu pour que se révèle la fissure, la faille, derrière l’impeccable mise en place.

En tous cas très beau digipack trois volets, luxueux, belles photos, avec notes de pochette en français.