Chronique

Elise Caron

Sentimental Récital

Elise Caron (voc), Denis Chouillet (p)

Label / Distribution : Le Triton

Verlaine et Appolinaire comme traits d’union. On croirait que les deux poètes ont écrit pour elle. Si ce n’est pas le cas, c’est qu’Elise Caron a réussi à capter l’émotion de leurs strophes :

Tout en chantant sur le mode mineur
L’amour vainqueur et la vie opportune
Ils n’ont pas l’air de croire à leur bonheur
Et leur chanson se mêle au clair de Lune.

Le Verlaine d’Elise Caron ressemble à celui de John Greaves dans sa grâce dépouillée. Ils s’y sont d’ailleurs mis à deux il y a quelques années. Mais le côté sombre appartient au Gallois ; la voix d’Elise Caron capte davantage la flamme. Elle peut être filtrée, voire frêle, elle sait avoir la lueur vénéneuse des reflets froids d’une pierre précieuse. Qu’importe. La lumière est là, et c’est la matrice de l’ombre. On l’entend dans « Sylvie » de Contamine de Latour, sur une musique aussi légère qu’une bruine écrite par Satie : « Sa tristesse est une pénombre et son sourire un arc-en-ciel ».

C’est dans cette dualité que naît la douce magie de Sentimental Récital qu’elle enregistre en duo avec le pianiste Denis Chouillet. L’attelage est ancien : c’était déjà avec lui qu’elle avait enregistré Euridyce Bis il y a 13 ans. Autant de temps qu’on attend un nouveau disque de chanson ; ce ne seront pas les siennes, elle en a confié l’écriture à des poètes de toutes époques, et même à un texte tiré du grec ancien et adapté à une musique du contemporain Bruno Gillet (« Tre Canti »). Tout au long du disque, tous les morceaux sont marqués par une économie de gestes et de notes. Satie est naturellement convoqué, que Chouillet interprète avec une douceur peu commune, une lenteur telle une caresse ; c’est toujours pour colorer les amours éperdus de Contamine de Latour, son contemporain. Fauré aussi, au service de Verlaine, à la suite de Debussy. Le chant d’Elise est doucement impressionniste, comme une lumière du matin et peut virer Fauve lorsque les taffetas du « Solitary Hotel » de James Joyce viennent croiser la musique de Charles Ives. Belle rencontre en miniature, comme la plupart de ces chansons.

On pourrait dire que ce disque en déroutera certains, les questionner, les irriter : il existe bien des allergies au coton. Peut-être s’attendaient-ils à une musique plus libre, irrévérencieuse et bigarrée. Pour une fois, sans doute, ce qu’il reste de disquaires dans ce bas monde n’aura pas à se gratter la tête jusqu’au sang pour ranger cet album d’Elise Caron : c’est du classique, et c’est tant mieux… Mais franchement, « Colloque Sentimental » de Verlaine a-t-il besoin d’autre chose que d’un piano ? Te souvient-il de nos extases anciennes ? Le nouveau disque d’Elise Caron ne ment pas sur ce qu’il est : c’est un récital sentimental, une visite à des amours anciennes avec ce qu’il faut de nostalgie. Une déambulation dans des musiques au temps suspendu, comme on fait une balade en forêt pour rompre un moment avec les trépidations de la ville. C’est beau, c’est tout ce qu’on sait dire ; et si c’est insuffisant pour ceux qui ont besoin de cloisonner la musique, tant pis.