Chronique

Enrico Pieranunzi & Bruno Canino

Americas

Enrico Pieranunzi (p), Bruno Canino (p)

Label / Distribution : CamJazz/Harmonia Mundi

On pourrait être surpris à plus d’un titre par l’attaque franche et sèche, connotée « musique écrite occidentale » de « Danzón Cubano », composition d’Aaron Copland joué sur Americas, visite en duo du répertoire continental qui ne s’arrêterait pas au mur virtuel des Etats-Unis. Non que l’on n’attende pas Enrico Pieranunzi sur ce terrain  : après tout, ses évocations de Scarlatti ou son magnifique Canto Nascosto dédié au pianoforte parlent pour lui. L’étonnement proviendrait plutôt de son compatriote. Bruno Canino est une légende, exégète de Berio comme de Debussy, a priori fort éloigné du monde du jazz. Son interprétation déliée de « Milonga Del Angel », œuvre de Piazzolla, en témoigne : pendant qu’il allonge la mélodie pour lui donner davantage de langueur, Pieranunzi travaille une rythmique plus souterraine, assez détachée, drapant le duo dans l’élégance immuable de la simplicité.

Nous avions pu discuter avec François Raulin et Stéphan Oliva de la difficulté d’enregistrer un duo de pianos, surtout dans une démarche symbiotique de dialogue permanent entre timbres semblables. Americas est également une prouesse, même s’il se construit au contraire sur la dichotomie des approches : très classique pour Canino, franchement jazz pour Pieranunzi. Cela crée du relief propre à jouer avec les ombres, à trouver les points de frottement et d’accroche. Il n’y a pas d’opposition puisque les routes s’entrecroisent, à l’instar de « Las Niñas de Santa Fe » de Carlos Guastavino où les pianistes se retrouvent dans le lyrisme du compositeur argentin.

On songe, dans cette volonté de lier les hémisphères américains tout comme le jazz et la musique écrite du XXe siècle, à Jazz Before Jazz de Mario Stantchev et Lionel Martin. Il y a la même sensation d’une familiarité qui s’était perdue au fil du temps et qui renoue avec une proximité somme toute naturelle. C’est ce qui s’impose dans la magnifique lecture de « I Got Rhythm Variations » de Ira & George Gershwin, longue discussion qui semble emprunter la navette rapide du siècle précédent jusqu’à nos jours, du stride au contemporain, du Sud au Nord. Deux Italiens qui s’embarquent pour le nouveau monde… la charge symbolique est évidente. Une belle et galvanisante rencontre.