Sur la platine

TOC, un chaos quatre carats

Le trio nordiste publie coup sur coup deux disques, dont un avec le saxophoniste étasunien Dave Rempis


Groupe trait d’union et central du label Circum et du collectif lillois Muzzix depuis de nombreuses années, le trio TOC, acronyme de Ternoy/Orins/Cruz , était déjà fort de quatre albums en près de huit ans d’existence. Avec la rentrée, on compte désormais deux albums supplémentaires, avec un exercice classique à trois et une rencontre avec un stentor du saxophone, le chicagoan Dave Rempis qui se retrouve ici dans un univers bien familier.

Closed for Safety Reasons, voici le titre de cet album où le patron du label Aerophonic est invité. Ce n’est pas lié à la pandémie. Pourtant on perçoit, à peine la batterie de Peter Orins tambourine sur « No Sleep at la Zone », poussé dans ses retranchements par la guitare nerveuse et convulsée d’effet d’Ivann Cruz, que l’air est méphitique. Le saxophone de Dave Rempis bouscule en diverses cataractes le flot d’électricité bien cadré par les claviers chargés de basses de Jérémie Ternoy. On pourrait penser que l’exercice est connu, voire commun depuis You Can Dance (If You Want), mais la force de TOC est de toujours se renouveler. De sonder de nouvelles zones de rocailles pour y trouver du combustible. La rencontre avec Rempis est caniculaire ; elle ne se limite heureusement pas à un rapport de force, même si les terminaisons nerveuses de Cruz appellent la mêlée, à l’instar du très tendu « Snow Storm in Saillans » qui bouscule l’auditeur en l’emportant sur un terrain hostile. Mais parfois, et sur des temps longs, elle laisse place à des instants impavides, où le moindre mouvement est lesté, laissé à l’appréciation de Ternoy et de Rempis, qui nouent une alliance presque évidente.

Jérémie Ternoy est avec Dave Rempis l’architecte de cet album. C’est d’autant plus amusant que c’est Peter Orins qui a rencontré le saxophoniste dans une meute de Sangliers commandité par Across The Bridges. Mais dans le long « Closed For Safety Reasons », ce sont bien les lentes droites dressées de part et d’autres du terrain de jeu par le Rhodes et le ténor, comme du puissant rubalise, qui encadrent une batterie sobre mais volontaire et une guitare indocile qui peut à tout moment se murer dans le silence. Ou plutôt dans le bruit blanc. Ce n’est pas la première fois que TOC se mesure à d’autres : on se souvient d’Air Bump avec les Compulsive Brass [1]. On sait leur capacité à se réinventer, à renverser les alliances, à trouver la tension dans n’importe quel méandre. L’urgence de Rempis était l’occasion pour TOC de tout remettre à plat pour mieux repartir en ligne droite.

Cette tangente, c’est Indoor, pourtant enregistré quelques semaines avant Closed for Safety Reasons, à l’automne 2019. Mais le jeu de Peter Orins a déjà beaucoup évolué ces précédents mois, se rapprochant encore davantage d’une approche très percussionniste, sensible, éloignée de la pulsation. Se retrouvant en trio, TOC se rapproche de Will Never Play This Songs Again, leur précédent album, mais nourri de cette rencontre avec Rempis. Le brouillard de « At The Edge », où la batterie reprend son rôle central, est une forêt vierge étouffante, astringente. La guitare de Cruz, plus distordue que jamais, semble articuler une langue inconnue, un Babel électrique avec Jérémie Ternoy. Ce n’est pas une urgence, comme pouvait l’être l’épisode Dave Rempis, c’est au contraire le retour de la vague inexorable et épaisse qui faisait mouche dans le dernier album. Ce n’est pas pour autant un retour aux sources : « In The Middle » articule un phrasé rock presque musculeux, comme un golem qui sortirait d’un océan de boue ; la guitare lance des éclairs, le Rhodes accélère le pas sans cependant perdre de vue que tout ceci est une machine imprécise et chaotique. Chaque mouvement est un instant gagné sur l’inéluctable effondrement qui commence par le délitement de « Over »… Histoire de ne pas oublier que tout ceci est du TOC, mais nullement de la pacotille !

par Franpi Barriaux // Publié le 27 septembre 2020

[1Notons que la saxophoniste Sakina Abdou, déjà de cette aventure, rejoint Rempis sur « Temporary Lease ».