Enrico Rava en toute intimité
Enrico Rava © Luciano Rossetti-Phocus Agency
2024 marque la sortie d’un album très attendu, Fearless Five, par la nouvelle formation en quintet de l’incontournable Enrico Rava. Tout à la fois compositeur et instrumentiste hors pair, le trompettiste italien revient sur quelques faits précieux et d’actualité. Il va droit au but et ses paroles demeurent percutantes, à l’instar de ses sublimes improvisations musicales.
- Enrico Rava © Riccardo Musacchio
Les sonorités exquises de la trompette et du bugle d’Enrico Rava font désormais partie de l’histoire du jazz, lui qui à dix-huit ans tomba sous le charme de Miles Davis lors d’un concert donné à Turin est devenu l’égal du maître. Sans cesse inventif et n’hésitant jamais à se remettre en question, Enrico Rava sait de quoi il parle. Du free jazz au bel canto, il a toujours été imprégné d’un lyrisme intense qui le caractérise musicalement.
Fearless Five, son nouveau disque publié par Parco della Musica Records, présente un groupe composé de Matteo Paggi au trombone, de Francesco Diodati à la guitare, de Francesco Ponticelli à la contrebasse et d’Evita Polidoro à la batterie, raison de plus pour évoquer avec le trompettiste cette nouvelle génération de musicien·ne·s. « Avant tout, pour moi, il est important de travailler avec des musicien·ne·s qui partagent ma vision de la musique et qui savent être à l’écoute ». Cette remarque se ressent dans les enregistrements qui jalonnent la carrière d’Enrico Rava, l’espace temps et le silence demeurent des notions essentielles qui agissent dans le développement de ses compositions. Quant au volet générationnel, sa réponse est claire : « La notion d’âge m’est indifférente ». Il est intéressant de connaître son point de vue, lui qui a poussé l’instrument dans ses derniers retranchements, sur les trompettistes émergents et leur développement stylistique. « Je ne perçois pas une évolution stylistique dans le jazz à la trompette, mis à part une exception comme Peter Evans. Mais il y a eu une incroyable évolution technique à partir de Marsalis et jusqu’à nos jours ».
- Enrico Rava © Roberto Cifarelli
Dernier disque en date de ce grand artiste, Fearless Five paraît quasiment cinquante ans après le premier disque qu’Enrico avait enregistré au Tonstudio Bauer en juin 1975 pour le label munichois ECM, The Pilgrim And The Stars. « J’ai une longue relation avec Manfred Eicher, parsemée de certaines interruptions, mais l’ensemble est très prolifique pour nous deux, je crois ». C’est en évoquant la disparition récente de Palle Danielsson que je fais allusion à la section rythmique de rêve qui comprenait également Jon Christensen sur ce premier album enregistré pour ECM, les souvenirs remontent à la surface. « Tu l’as dit : une section rythmique de rêve, créatifs, réactifs et assurément l’une des meilleures paires de rythmiciens avec lesquels j’ai joué ».
Je ne perçois pas une évolution stylistique dans le jazz, mis à part une exception comme Peter Evans.
Dans Fearless Five, on retrouve une composition captivante déjà présente dans l’album ECM enregistré en 1978 avec Roswell Rudd, Jean-François Jenny-Clark et Aldo Romano, « Lavori Casalinghi ». « La version originale est composée en deux parties : un 3/4 et un tango. Dans cette nouvelle version, j’ai seulement utilisé le tango à l’intérieur d’une longue séquence d’improvisation ». Et la musique afro-américaine, comment perçoit-il son évolution ? « Je ne sais pas ce qu’on entend par musique afro-américaine, mais si l’on se réfère uniquement au jazz, je crois que la dernière véritable intervention sur le langage de cette musique est celle qu’a réalisée Ornette Coleman il y a soixante-dix ans ». Enrico Rava va encore plus loin. « Je pense que le jazz a subi une évolution incroyable du point de vue de la technique entre autres, mais du point de vue du langage il ne s’est plus rien passé ».
Tout en évoquant les jeunes gens qui l’entourent dans sa nouvelle formation, je demande ce que cet immense artiste conseillerait à un jeune musicien débutant. « Je lui conseillerais de faire le contraire de ce que j’ai réalisé personnellement, c’est à dire d’étudier avec de très bons professeurs de manière à pouvoir se présenter très préparé sur scène ».
Les projets ont toujours fait avancer Enrico Rava, qu’en est-il de l’avenir et de ce nouveau groupe ? « Évidemment, à quatre-vingt-cinq ans, j’ai beaucoup réduit mon activité, j’évite les longs voyages et je cherche à prendre l’avion le moins possible. Donc, pour ces prochains mois, j’ai des concerts prévus en Italie avec mon groupe et je pense à réaliser mon futur album ».