Chronique

Eve Beuvens

Inner Geography

Eve Beuvens (p)

Label / Distribution : Igloo

Le titre de cet album au piano solo d’Eve Beuvens évoque l’exploration d’une géographie interne, que la musique dévoile. Lorsque débute « Phagocyte », on pense d’abord un peu à Erik Satie, qu’évoquent ces silences, ces notes répétées, et ces harmonies familières. Puis la pianiste nous emmène ailleurs, c’est-à-dire dans son univers, marqué par une virtuosité qui offre des mélodies saisissantes, des dialogues aussi, ce qui en solo ne va pas de soi. Résultat d’un jeu main droite / main gauche impressionnant de maîtrise et d’inventivité.

Rien n’est de trop dans Inner Geography. Chacun des huit titres de l’album est indispensable et possède une attractivité immédiate. « Jolene » de Dolly Parton a connu bien des versions. Ce titre raconte la volonté d’une femme d’empêcher l’adultère de son mari avec la jeune et belle Jolene. Ici, le morceau prend une hauteur vertigineuse. Les notes ont grimpé les octaves et semblent voler, tout dominer, jusqu’à ce qu’une cassure vienne noircir le tableau, et Jolene révèle sa part sombre et inquiétante. La complainte, l’espérance, sont comme balayées par une bourrasque qu’on imagine grave. « Rain Drops Moving on a Window » offre de belles envolées improvisées, quand « Your Own Title to This Song » semble creuser toujours plus en profondeur cette quête intérieure.

Autre classique, « Caravan » se voit ici remanié au cœur d’une improvisation. Égrené, il est comme reconstruit dans un jeu de notes qui se répondent, pour en restituer la substance seule. Entrer dans ce disque peut s’avérer bouleversant. Il offre l’expérience prégnante d’une musique claire, éloquente, qui circule et nous traverse. La pianiste non seulement relève le difficile défi d’un album en solo mais nous offre l’un des plus brillants qui soient. Une pépite dans le paysage musical de cette fin d’année, et indéniablement un joyau dans la discographie d’Eve Beuvens.