Entretien

Fanny Lasfargues, le ventre de la basse

Rencontre avec une musicienne entière et sensible passionnée par le son.

Fanny Lasfargues © Gérard Boisnel

Depuis son entrée avec Q dans les orchestres sélectionnés par Jazz Migration, en 2010, la bassiste Fanny Lasfargues fait partie des musiciennes qui nous étonnent et nous ravissent à chacun de leurs nouveaux projets. Souvent assimilée à la génération des Parisiens de Coax (on se souvient notamment de son magnifique solo), la désormais Marseillaise est souvent l’instigatrice d’une musique organique, puissante et radicale qui se nourrit de nombreuses influences. Membre indispensable des orchestres d’Eve Risser, on la retrouve également avec Morgane Carnet, notamment dans la récente tournée de The Bridge à Chicago.

Fanny Lasfargues

- Fanny Lasfargues, pouvez-vous vous présenter ?

Je suis contrebassiste, bassiste, improvisatrice et compositrice. Née en banlieue sud parisienne en 1982, j’ai quitté la capitale pour Marseille il y a maintenant 9 ans. Pour le côté académique : je suis diplômée du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris (département jazz et musiques improvisées).
Je suis une femme artiste-musicienne mère de famille de deux enfants.

- Vous êtes bassiste électrique, mais vous aimez travailler votre instrument dans de nombreux registres étendus. Qu’est-ce qui vous intéresse dans la fonction de basse dans votre travail ?

Si on parle ici du rôle qui peut être assigné à cet instrument, alors je vois deux fonctions :
- En terme de placement dans le spectre : la fonction de fondation. Les fréquences graves et particulièrement les infras parlent directement au ventre.
- En terme de placement dans le temps : la fonction de groove.

- Après vos années d’apprentissage rigoureux, comment fait-on pour déconstruire ce travail et faire émerger un langage nouveau ?

Tout apprentissage artistique serait vain, à mon sens, s’il n’avait pas pour but - par son intégration et sa maîtrise - d’aider à s’exprimer l’élan de créativité. Je préfère ici le terme de détournement ou de déplacement plutôt que de déconstruction. Après c’est une histoire de sensibilité : on va là ou l’on vibre, ainsi que de sens : celui que l’on trouve et celui que l’on donne (ou tout du moins celui qu’on essaie de donner).

Le fait que la caisse de résonance de mes instruments soit contre mon ventre ajoute une dimension très concrète à cette sensation


- Il y a quelques années, vous avez fait paraître un solo chez Coax Records, où l’on sentait, comme chez Julien Desprez à la guitare, que votre instrument est une forme de prolongation de vous-même. Y a-t-il un lien organique avec votre instrument ?

 Je ne crois pas me tromper en disant que, dans nos pratiques, l’instrument devient un prolongement de nous-même. Prolongement du corps et de l’esprit. En ce qui me concerne, le fait que la caisse de résonance de mes instruments soit contre mon ventre ajoute une dimension très concrète à cette sensation. Les fréquences graves transmises par le bois conducteur vont directement s’épanouir dans mes entrailles.

Fanny Lasfargues

- Voyez-vous un lien entre la sonorité d’une basse qui trouve sa place au fond du son et le bruitisme dont vous êtes adepte qui d’une certaine manière cherche aussi à atteindre le cœur du son ?

Aux extrémités du spectre se trouvent des fréquences que l’oreille humaine ne peut entendre. Toujours est-il que le corps peut les éprouver d’une autre façon. On est dans l’abstrait pour l’oreille mais dans le concret pour le corps. Alors, il y a peut-être une analogie à faire ici avec le bruitisme en terme de langage dont le sens reste abstrait, en particulier pour une oreille non érudite. Si je dois faire un lien ici, c’est celui du corps et de la sensation qui prime sur l’intellect.

- Vous vous tenez souvent aux frontières de votre instrument (sons ténus, usages périphériques, objets). Dès lors, quel rôle tient une basse lorsqu’elle flirte avec l’absence ?

Dans nos pratiques, l’identité et le langage sont tout aussi (si ce n’est plus) importants qu’une fonction instrumentale. Évidemment, quand c’est nécessaire je tiens avec plaisir le rôle assigné à mon instrument, mais si absence du rôle de basse il y a, c’est que cela a du sens.

Fanny Lasfargues

- On vous connaît également dans des contextes où la musique est frontale et sans concession. Qu’est-ce que vous aimez dans ces environnements brûlants ?

Un esprit contestataire sans doute, qui libère une sorte d’énergie adolescente qui ne supporte pas l’injustice. Le goût du risque aussi, se mettre en danger, être sur la brèche, ne rien retenir, tomber et éprouver le fait qu’on peut se relever.

- Quelles sont vos influences ?

Pour n’en citer qu’une qui a marquée et accompagnée adolescente : Nirvana. D’ailleurs dans QonichoD, trio avec Morgane Carnet au sax baryton et Blanche Lafuente à la batterie, on a un set hommage qu’on a appelé NirvanaNa.

- On a suivi vos aventures à Chicago avec The Bridge : que retirez vous de cette expérience ?

Ce que je retiens de cette expérience, ce sont avant tout les rencontres. Certaines très marquantes et toutes très riches, dont ont pu naître des moments de partage et de création d’une grande intensité et empreints d’une authenticité rare.

Fanny Lasfargues

dans la musique d’Eve Risser j’ai le rôle de Fanny Lasfargues


- Vous avez participé au White Desert Orchestra d’Eve Risser : pouvez-vous nous parler de votre rôle dans cet orchestre ?

Le White Desert était le premier orchestre d’Eve Risser dont le dernier concert remonte à plusieurs années maintenant. Aujourd’hui c’est le Red Desert Orchestra qui est sur les routes. La musique d’Eve est toujours d’une grande sensibilité, livrée par une écriture très finement maîtrisée qui intègre des espaces d’expression pour chaque identité. Alors dans la musique d’Eve Risser j’ai le rôle de Fanny Lasfargues, et c’est pratique parce qu’elle joue de la basse ! 

- Quels sont vos projets à venir ?

Y en a plein ! Trop ! Et je n’ai jamais été douée pour faire de la promo. Du coup, je vais juste dire quelques mots sur celui qui n’est encore que dans ma tête. Ces dernières années, j’ai accumulé pas mal de grooves et de matières sonores - ce qui est en quelque sorte pour moi composer de la musique. Tout cela demande à être organisé et je ne sais pas encore, du studio ou de la scène, quelle sera ma première direction, mais j’ai donc un nouveau solo en préparation. On est sur du 2023 je pense, donc affaire à suivre !