Chronique

Blum, Murray, Taylor

The Recursive Tree

John Blum (p), David Murray (ts), Chad Taylor (d)

Label / Distribution : Relative Pitch

Pianiste new-yorkais encore trop méconnu chez nous, John Blum est un compagnon régulier de Steve Swell et de Chris Corsano, dont il partage le goût de la frappe franche et lourde qui peut paraître assez agressive, même si elle est un modèle de souplesse. Mais sa collaboration au long cours la plus riche est celle qui l’unit à William Parker, que ce soit dans l’Astrogeny Quartet ou en compagnie de Sunny Murray. Avec ce trio qui publie The Recursive Tree, où le piano croise le fer avec le saxophoniste David Murray, Blum rencontre un autre batteur bouillonnant. C’est en effet le batteur du Red Lilly Quartet, Chad Taylor, qui vient compléter un triangle puissant et diablement isocèle, où chacun lutte ardemment pour un véritable équilibre des forces. « Kinetic Crawl » en est sans doute l’exemple le plus patent, avec cette main gauche tonitruante qui vient pousser la rythmique dans ses retranchements, semblant accélérer toujours avant d’encercler le ténor comme un boa constrictor.

La vigueur de Blum est au centre de ce disque, comme l’était d’ailleurs Duplexcity, son duo paru en 2020 avec Jackson Krall. C’est un tourbillon très maîtrisé qui anime Blum, qui semble ne jamais connaître de répit : « Germination », où Taylor s’offre une entrée en matière d’une grande souplesse, est un exemple de la grande nervosité d’un pianiste toujours en mouvement ; d’abord souterrain, dans le tourbillon des basses, le piano revient vélocement à la surface, un esprit frappeur qui vient faire sortir David Murray de ses gonds. Le résultat est intranquille et puissant, volontiers dissonant parfois, comme pour impulser davantage de mouvement (« The Recursive Tree »)

Mis à la lumière d’une métaphore filée liée à la botanique, le propos du trio en garde quelques teintes vives, dans la chaleur du jeu de Chad Taylor comme dans l’approche très organique du jeu de David Murray. Un hommage à Thelonious Monk, comme bouturé par des greffes imparfaites et des citations avortées, vient donner des couleurs à une musique qui transpire la joie turbulente d’être vivante et sur la brèche (« Monk’s Door »). Un très beau disque proposé par Relative Pitch, dont le bouquet final, « Fractals », offre le sentiment d’un chaos mathématiquement impeccable bien que totalement imprévisible.

par Franpi Barriaux // Publié le 9 juin 2024
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