Scènes

Hélène Labarrière, cinq femmes et un quintet

Hélène Labarrière chante les femmes avec son nouveau quintet lors d’une soirée au Petit Faucheux.


Hélène Labarrière Quintet, photo Rémi Angéli

Première date d’une série de cinq pour le nouveau quintet de la contrebassiste Hélène Labarrière qui donne à entendre une musique plurielle, avec laquelle elle rend hommage à des femmes fortes. Au Petit Faucheux ce mercredi 17 janvier, elle aura su mener de front poésie et puissance, chant de lutte et chant d’amour.

Comme un effet miroir avec son premier groupe remontant aux années 80 et qui avait pour nom Ladies First, Hélène Labarrière revient à la direction d’orchestre qu’elle n’avait pas occupée depuis quelque temps, non avec un groupe réunissant uniquement des femmes, mais en illustrant par la musique l’engagement et les personnalités fortes de certaines femmes. Ainsi Jane Avril, Angela Davis, Emma Goldman, Louise Michel, Thérèse Clerc sont convoquées comme autant de figures tutélaires qui l’ont inspirée.

Pour autant, la radicalité d’un féminisme exclusif n’est pas de mise ici, Labarrière ayant pris soin de confier les arrangements de compositions de sa main à cinq personnalités avec qui elles entretient des relations étroites depuis longue date – cinq hommes, pour le coup. Marc Ducret, François Corneloup, Sylvain Kassap, Jacky Molard, Dominique Pifarély se sont approprié le matériau de départ pour en faire, chacun à leur manière, les pièces au sein desquelles ont pouvait, pour qui les avait dans l’oreille, entendre quelques échos de leur marotte stylistique.

La variété des approches aurait pu donner un concert hétérogène, mais deux éléments tenaient le tout ensemble. D’abord, les influences communes et larges où prédominent la complexité – qui en fait la richesse – de la forme et un goût pour la nervosité issue du rock, une des marques de fabrique de Labarrière [1], définissent les paramètres autour desquels le groupe va se mettre en action. Le groupe, ensuite et surtout, réunissant des caractères variés mais suffisamment aguerris pour être dans l’écoute, s’impose comme une machine lyrique et tonique.

Les deux soufflants ne cessent de souffler. C’est leur fonction, dira-t-on. Il le font avec éloquence, percutant savamment leurs lignes mélodiques avec complémentarité et un spectre expressif large. Robin Fincker peut-être plus intérieur et Catherine Delaunay, plus aérienne, sont les lignes de fuite d’une écriture qu’ils honorent et élèvent. Bruitiste, texturé, électrique sans abus dans le raffut, Stéphane Bartelt, qu’on avait entendu chez Fabrice Martinez (Chut ! Chez Sans Bruit en 2013), vient griffer l’espace sonore de traits réfléchis qui donnent une tournure fébrile jamais frontale. En l’occurrence, Simon Goubert s’en charge. Après une première partie de concert entièrement dans l’écoute durant laquelle il souligne le propos de ses partenaires et accompagne les articulations des compositions avec justesse, il finit, dans la seconde partie, par lâcher la bride à ses impulsions avec quelques interventions à fort volume qui imposent une parole ferme et définitive.

Hélène Labarrière, photo Rémi Angéli

La réussite du concert réside, en effet, dans une énonciation double. D’abord une architecture compositionnelle bien présente qui trace une feuille de route imparable et variée et, d’autre part, un sens du collectif au sein desquels les initiatives circulent, à travers notamment des solos qui sont autant de temps forts. Si Puzzle est le nom de ce programme, chacune des pièces en est l’indispensable élément.

Finissons par une réjouissance : celle de retrouver Hélène Labarrière sur scène. Son jeu fait sonner la contrebasse en la faisant gonfler, sa main droite tire les cordes, la main gauche écrase le manche et dix doigts courent agilement pour faire naître un phrasé au délié épais à la fois mélodique et toujours tellurique. Elle est garante d’une pratique ancienne, lorsque la basse était alors libre de dialoguer devant, au côté des autres instruments sans renier pourtant ses fonctions originelles mais en imposant d’égal à égal l’expressivité d’une poésie charpentée et féline.