Chronique

Isabelle Olivier

Don’t Worry be Harpy (volume 2)

Isabelle Olivier (hp, comp, dir, libr), Catherine Delaunay (cl), Johan Renard (vln), Tam de Villiers (g), Benjamin Moussay, Olivier Sens (elec), Céline Grangey, Lucie Bourély (fx), Marc Buronfosse (b), Fabrice Moreau (dms) + voc

Label / Distribution : Enja Records

Qui pensait encore à Côme ? Isabelle Olivier. La harpiste nous avait prévenus, à la sortie de son premier Don’t Worry be Harpy en 2014, qu’elle se lançait dans une trilogie autour de Côme Laverse du Rondeau, le délicieux petit Baron Perché d’Italo Calvino. Ce traité d’indépendance, d’effronterie et de liberté sied à merveille à la compositrice. Après avoir évoqué l’arbre perché au milieu des oiseaux en double trio transatlantique, elle s’attache dans une approche opératique aux relations particulières des personnages, avec cinq chanteurs et un orchestre à l’instrumentarium très large. On retrouve la base rythmique francophone coloriste composée de Marc Buronfosse et Fabrice Moreau, taillée pour les climats oniriques visités (« Côme »), d’autant que se joignent à eux d’autres fabuleux raconteurs d’histoires tel le guitariste Tam de Villiers ou la clarinettiste Catherine Delaunay. Cette dernière fait forte impression, tout au long de l’album, dans sa façon d’aller pêcher les émotions tels des fruits sur les plus hauts rameaux, en secouant la structure sans briser aucune branche (« Waltz »).

Les personnages se placent à la manière d’un opéra classique, renforcés par le violon de Johan Renard. Avec un tel équipage, il n’est guère surprenant que l’on songe dès « Lunch » à quelque aventure canterburyenne. L’association Olivier/Delaunay avait fait merveille dans Sois patient car le loup ; elle est ici pleinement renouvelée. Le thème déjà emblématique du premier album est repris et transformé par la voix pour lui donner un souffle plus épique. Cependant, la harpiste ne cède pas une once de latitude dans ce nouveau format. Preuve en est, sans doute, le recours aux artifices sonores électroniques comme acoustiques qui viennent scénariser l’escalade résidentielle du baron. On retrouve deux fidèles : Olivier Sens, avec qui elle collabore depuis Island #41 et Céline Grangey, qui était du volume antérieur. A leurs côtés s’ajoutent Benjamin Moussay et Lucie Bourély qui peuvent tout à la fois convoquer la conférence des oiseaux (« Intro ») et la pétulance euphorique ; ainsi dans ce « Forest Mood » plein de groove, la harpe et la guitare se font rocailleuses pour une véritable explosion de joie. La figure émancipée, voire émancipatrice, de Côme y intervient en criant à tue-tête du haut de son caroubier, conformément au livre.

Isabelle Olivier joue, moins en avant peut-être, mais en dirigeant l’ensemble avec le calme de ceux qui savent où il vont. Au gré des titres qui reprennent peu ou prou le canevas du précédent album, on découvre une galerie de personnages parfaitement campés par des chanteurs rencontrés au fil de ses périples chicagoans. On soulignera notamment le travail de Kristiana Rohmer, idéale Violetta sur « Tribal Dance », qui guide le voyage des cordes dans quelque forêt primaire asiatique, la harpe se muant le temps d’un titre en pipa chinois. On pourra s’étonner parfois de quelques incursions dans un registre plus Broadway, inhérent au genre (« Rock It »), mais force est de constater qu’Isabelle Olivier rend un hommage vibrant au jeune Côme et à sa vocation de rebelle qu’elle met en musique comme Calvino sut, il y a 60 ans, la mettre superbement en mots.

par Franpi Barriaux // Publié le 4 septembre 2016
P.-S. :

chanteurs :
Mitchell Owens (Côme), Lynne Jordan (Corradina), Saalik Ziyad (Arminus), Sarah Marie Young (Baptista), Kristiana Rohmer (Violetta)