Chronique

Bruno Ruder

Anomalies

Bruno Ruder (p).

Label / Distribution : Vision Fugitive

Aussi discret qu’indispensable à certaines des formations de ces dernières années, Bruno Ruder peut se prévaloir d’une capacité à couvrir un spectre esthétique extrêmement large (de Magma ou dernièrement encore One Shot à Rémi Dumoulin) qu’il sert invariablement avec justesse et à-propos, et avec la même humilité. Il propose, cette fois, de mettre en scène un univers personnel lors d’un deuxième exercice en solo, presque dix ans après Lisières paru chez La Buissonne.

On y retrouve un travail introspectif où s’épanouit un monde dans lequel l’espace est privilégié comme condition première à l’expression d’une sensibilité sans débordement affectif excessif. C’est même une tautologie, mais cet album est avant tout un disque pianistique qui pourrait être considéré comme une étude approfondie des potentialités coloristes de l’instrument. Avec un soin méthodique accordé aux associations de notes afin de faire émerger une suggestivité, de même qu’une attention sensible portée à la résonance et au jeu avec les silences, Bruno Ruder construit un discours en nuances qui pourra sembler aride pour peu qu’on y jette une oreille distraite.

Franchi un certain dépouillement émotionnel, on entre pourtant dans un monde d’une grande richesse qui sait jouer des équilibres entre une main droite virevoltante et une main gauche d’une puissance toujours en retenue. Dans les recoins de ces huit pistes qui s’engagent avec assurance au travers de chemins mystérieux, néanmoins jamais inquiétants, se dévoile ainsi une maîtrise parfaite de l’art du récit. L’écriture y est une carte qui n’enferme pas le promeneur, elle permet au contraire d’ouvrir les conditions d’émergence de territoires nouveaux ouverts à une improvisation inenvisageable en dehors de l’action qui l’anime. Cette promenade contemplative est une longue méditation dont l’épanouissement trouve une distance juste, sans afféterie mais avec une honnêteté qui résonne au plus près.