Entretien

Henry Grimes

Interview à Paris le mercredi 8 mars 2006.

Le lendemain de son concert aux 7 Lézards à Paris, Henry Grimes, le contrebassiste de l’avant-garde new-yorkaise des années 60, de retour sur scène depuis 2002, a très gentiment accepté de répondre à quelques questions.

CJ : Que signifiait être « musicien d’avant-garde » à New York dans les années 60 ?

Henry Grimes : C’était une grande expérience à l’époque. J’étais dans l’avant-garde. Je connaissais tous les musiciens de ce style. Je menais la vie que je voulais. Je m’amusais à expérimenter. J’ai toujours voulu jouer cette musique, qui avait son public. Seulement, en tant que sideman, je gagnais peu d’argent, contrairement aux clubs et aux leaders. Je jouais beaucoup à l’est et au nord des USA. Je ne suis venu en Europe et au Japon qu’ avec Sonny Rollins (NDLR : plus Billy Higgins et Don Cherry) (1963).

  • Comment avez vous pu disparaître ainsi de la scène musicale de 1968 à 2002 ?

HG : Je raconte tout sur mon site. Je suis arrivé à Los Angeles en 1968, ayant voyagé en voiture depuis New York avec ma contrebasse sur le toit de la voiture, enveloppée dans une bâche en plastique. Elle a été abîmée par le sable du désert. Je n’ai pas eu les moyens de la réparer, et encore moins d’en acheter une autre. De 1968 à 2002, je n’ai donc pas joué de musique. J’en ai écouté, j’ai lu de la poésie. J’écoutais de la musique chinoise, mexicaine, sacrée.

Margaret Davis : Il n’avait plus aucun contact avec les musiciens. Il n’avait pas de téléphone. Personne ne savait où il était. Il n’avait pas de carnet d’adresses. Il vivait dans un quartier difficile.

Henry Grimes © H. Collon
  • Comment êtes vous remonté sur scène ?

MD : William Parker lui a trouvé une contrebasse et la lui a offerte. Il a entendu Henry en concert à l’âge de 12 ans et ça avait changé sa façon de penser, de jouer.

HG : Mon premier instrument est le violon. Je joue du jazz d’avant-garde. A la Julliard School, je me suis fixé sur la contrebasse. Mais j’ai l’intention de me remettre au violon. William Parker aime mon son de violon. J’adore le son manouche. J’ai d’ailleurs joué avec le groupe manouche de Marc Ribot. J’écoute Django Reinhardt depuis que j’ai douze ans.

  • Quelle écoute avez-vous du jazz d’aujourd’hui, après avoir été absent de la scène pendant plus de trente ans ?

HG : J’écoute du jazz contemporain, et je le compare avec celui des années 50-60. J’écoute les maîtres de ma jeunesse : Sonny Rollins, Cecil Taylor, Ornette Coleman. J’écoute aussi William Parker, Bill Dixon, Rob Brown. En Europe, j’apprécie Peter Kowald et Joëlle Léandre. J’ai manqué Sun Ra. Mais j’ai joué avec Coltrane, Miles, Cannonball Adderley, Bill Evans et Philly Joe Jones à Cleveland.

MD : Henry anime beaucoup d’ateliers et de master-classes. C’est nouveau pour lui. Il prend conscience de son importance dans l’histoire de la musique quand il voit le regard admiratif que les jeunes musiciens portent sur lui.

  • Vous êtes né à Philadelphie. Avez vous le fameux « Philly Sound » ?

HG : Je suis arrivé à New York à l’âge de 21 ans. Je ne pense pas avoir le son de Philadelphie.

MD : Rendez-vous compte : Henry a dû maîtriser cinq instruments pour décrocher son diplôme de fin d’études secondaires avec Ted Curson et Sam Reid !

Henry Grimes © H. Collon
  • Qui ont été vos maîtres ?

HG : Percy Heath, le contrebassiste du Modern Jazz Quartet, venait de Philadelphie. C’était un ami et il m’a appris beaucoup de choses. Hassan Ibn Ali, un pianiste avant-gardiste de Philadelphie m’a lui aussi beaucoup appris. Max Roach a enregistré avec lui et Art Davis à la contrebasse The legendary Hassan.

  • Qu’est-ce qui vous a vraiment relancé ?

HG : Une émission de la radio new-yorkaise sur WKCR - 24 heures qui m’ont été entièrement consacrées en 2002. J’ai alors joué une improvisation d’une heure dédiée à Hassan Ibn Ali : « Ÿ versus 4/8 going 4/4 ways ».

MD : Beaucoup de musiciens disparaissent. Certains ne réapparaissent jamais. Pannonica (NDLR : la baronne Pannonica de Koenigswarter, muse de Thelonious Monk) m’a offert un saxophone pour Lucky Thompson et je n’ai jamais pu le retrouver.

C’est grâce à la ténacité de Margaret Davis que Henry Grimes a pu revenir sur scène. Puisse-t-il nous enchanter longtemps encore.