Sonny Rollins à l’Olympia
Le boss du ténor soulève l’Olympia à la force de son sax…
Sonny Rollins joue à l’Olympia depuis plus de 40 ans. Il vient ici en terrain conquis. Même si le choix des musiciens peut paraître curieux, le Boss du Ténor est toujours capable de mettre tout le monde d’accord à coups de ballades langoureuses et de calypsos endiablées.
Barbe et cheveux blancs, lunettes noires, claudiquant, Sonny Rollins entre sur scène et salue les poings levés et commence par une ballade, sur orbite dès les premières notes. Il se balance toujours, mais n’arpente plus la scène à grands pas. Le groupe l’accompagne « pépère » alors que le Boss est déjà ailleurs. Comme dit Cioran : « Pourquoi lire du Platon alors que le son d’un saxophone ténor peut nous ouvrir la porte d’un autre monde ? ».
- Sonny Rollins Group © M. Laborde/Vues sur Scènes
Le deuxième morceau est rapide, funky en diable ! « The Sound of Sonny » est toujours là. Le groupe, qui s’est réveillé, pousse le patron mais ne le remet pas en cause. Ce ne sont plus Henry Grimes et Pete La Roca à la rythmique… Rollins n’a plus non plus l’âge de danser, mais l’esprit de la danse souffle toujours en lui. Solo du trombone à la Fred Wesley. Rien de neuf, donc, mais c’est efficace. La rythmique tourne implacablement. Le percussionniste brode. Rollins relance. Au tour du guitariste, qui connaît son Wes Montgomery sur le bout des doigts. De la vraie guitare jazz, sans pédale wah wah, ni distorsion, ni larsen. Vient enfin le solo du « Boss of the Tenor ». On entre aussitôt dans une autre dimension. Cet homme respire, transpire le swing de tout son corps, de toute son âme. La salle, comble, est comblée. C’était « Sonny, please » le morceau titre du dernier album.
Une ballade s’ensuit, histoire de calmer le jeu. Rollins a toujours l’art de traiter la mélodie comme Picasso faisait un portrait, en même temps de face, de profil et de trois-quarts. Un solo de basse tranquille de Bob Cranshaw vient nous relaxer. Puis c’est un dialogue entre Rollins et son percussionniste - entre deux percussionnistes, serait-on tenté de dire. Cela se passe à la fois en douceur et avec virilité.
- Sonny Rollins © M. Laborde/Vues sur Scènes
Rollins annonce « Falling in Love Is Wonderful » un morceau joué par Coltrane - avec Johnny Hartman, nous rappelle t-il. Un long, si long, trop long solo de trombone vient rompre le charme. Un solo de guitare très bluesy vient le raviver avant que Rollins n’enchaîne en survolant le morceau comme un aigle les Rocheuses.
Un entracte permet au public de reprendre ses esprits. Le plus souvent, un musicien en rappelle d’autres. Mais Sonny Rollins est d’une autre classe. Il ne renvoie qu’à lui-même. À son retour sur scène (il a changé de tenue), il entame une calypso ; non pas le célèbre « Saint Thomas » - juste un de ces airs dansants dont il a le secret. Il pourrait d’ailleurs donner tout un concert dans ce style, avec des musiciens antillais, par exemple le trio Biguine Reflections d’Alain Jean-Marie. Mais c’est un musicien de l’entre-deux, entre Amérique du Nord et Caraïbes, entre hard bop et free jazz. Il ne choisit pas son camp car il refuse l’enfermement. Le patron démarre seul. Qui pourrait le suivre, d’ailleurs ? Il se remet à arpenter la scène. Le groupe assure sans faillir, Rollins surfe par-dessus. Puis on retrouve le calme avec une ballade. Dans la salle, les femmes se lovent contre leur homme. Ce standard est malheureusement gâché par de longs et insipides solos de basse et de trombone. Bob Cranshaw joue avec Rollins depuis 1962. Il est temps qu’il saute par-dessus bord. Nouvelle ballade gâchée par un long et inutile solo de trombone. Que fait Clifton Anderson dans ce groupe ? Il y figurait déjà en 1989…
- Sonny Rollins Group © M. Laborde/Vues sur Scènes
Après avoir souhaité longue vie à l’Olympia, Rollins entame « Don’t Stop the Carnival », une calypso traditionnelle qu’il a enregistrée pour la première fois sur « What’s new ? » en 1962. Bob Cranshaw était déjà à la contrebasse… Les prises d’appui, les relances de Rollins sont vraiment monstrueuses. Même Clifton Anderson muscle son jeu. Le niveau monte ! Rollins cite « La vie en rose » - clin d’oeil à Piaf et à l’Olympia. Après un solo orgiaque, il dialogue avec le percussionniste, puis le laisse faire un solo très fin, aux congas, joué du bout des doigts plus qu’avec les paumes. Rollins écoute, telle une Statue du Commandeur mais bienveillante. Le rythme monte progressivement en puissance. Pour le finale orgasmique, le public debout danse et bat la mesure. Standing ovation pour Rollins. Sonny Rollins ou la joie du don et du du jeu.