Chronique

Nick Dunston / Kalia Vandever / DoYeon Kim

Spider Season

Kalia Vandever (tb, fx), DoYeon Kim (Gayageum, voc), Nick Dunston (b, fx)

Label / Distribution : Out of Your Head Records

Lorsque Nick Dunston évoquait avec nous son nouvel orchestre Spider Season, il parlait de ce trio comme son nouveau groupe central ; il n’en fallait pas davantage pour que l’album du contrebassiste prodige américain devienne un vrai sujet d’excitation, et c’est le label new-yorkais Out of Your Head qui nous délivre de l’attente. Spider Season est un disque entier, farouchement improvisé où Dunston côtoie deux musiciennes passionnante : la tromboniste Kalia Vandever, habituée des productions pop, est l’élément déstabilisateur d’une architecture de cordes particulièrement complexe. Dans « Thousand Year Old Vampire », l’archet de Dunston, particulièrement offensif, joue de toutes les tensions possibles avec la Coréenne DoYeon Kim et son gayageum qui subit toutes sortes d’approches étendues et d’entorses aux traditions. Capable de pousser ses compagnons dans leurs retranchements, Vandever s’empare d’une ligne assez simple et très mouvante, comme pour mieux souligner toute la complexité des cordes.

Plus loin, avec « Ficus Elastica », la contrebasse affirme une ligne dure, suivie par le trombone, que Kim érode avec constance et insistance. Véritable éloge du mouvement, parfois jusqu’au plus indicible, Spider Season tisse sa toile. « Der Dunst », à ce titre, est particulièrement emblématique. Vandever, qui manie l’électronique tout comme Dunston, construit un labyrinthe tortueux à plusieurs voix, sur des coups de coulisse de plus en plus nébuleux. Pendant le temps, le gayageum lui aussi se travestit en une véritable jungle à peine cartographiée par une contrebasse incisive. On sait Nick Dunston très intéressé par la musique écrite occidentale contemporaine : il y a dans ce morceau, tout comme dans « Spider Season » et ses allures de manifeste, comme une passion entretenue pour les musiques répétitives.

Avec son attelage d’apparence étrange, notamment grâce au gayageum de DoYeon Kim, Spider Season développe un modèle franchement universaliste. Pas de ceux qui lissent au plus petit dénominateur commun, mais au contraire qui s’empare de toutes les strates pour délivrer une musique libre et sans attache. Certes, on a pu le voir dans un récent disque de Silke Eberhard et son Potsa Lotsa, la harpe traditionnelle coréenne est très ouverte aux musiques improvisées, ce que DoYeon Kim avait notamment pu déjà montrer avec le contrebassiste Joe Morris entre autres, mais surtout sans doute avec Tyshawn Sorey dans l’exercice qu’elle livre ici. L’alchimie avec la surprenante tromboniste est vraiment la clé de la réussite de cet album : Kalia Vandever a un jeu très précis et Dunston travaille énormément sur le caractère microtonal de l’instrument. « Pollinator », à ce titre, est sans doute le morceau le plus emblématique de Spider Season : Dunston construit un premier motif à l’archet, Vandever rajoute une couche supplémentaire que le gayageum va également couvrir d’un nouveau calque. A la simplicité initiale se substitue une complexité générative. Un projet arachnéen qui consacre un trio parmi les plus intéressants du moment.

par Franpi Barriaux // Publié le 23 octobre 2022
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