Chronique

Ideal Bread

The Ideal Bread

Josh Sinton (s bar), Kirk Knuffke (tp), Reuben Radding (cb), Tomas Fujiwara (dr)

Label / Distribution : KMB Records

Objet bizarre et d’une facture toute artisanale, The Ideal Bread est le premier album d’une formation entièrement dédiée à la reprise de compositions de Steve Lacy. Tous les morceaux de l’album N.Y. Capers and Quirks y sont repris, plus quelques autres que l’on retrouve essentiellement en enregistrements live. Le soprano fait ici place à un baryton joué par l’initiateur du projet, Josh Sinton, disciple du maître.

Sur le feuillet qui sert de livret, un dialogue pour le moins offensif entre Sinton et un personnage indéterminé qui lui reproche de « piller » Lacy. Dans le débat « musique improvisée contre musique de répertoire » qui traverse le monde jazz depuis des décennies, Josh Sinton publie cet album comme un manifeste. Il revendique le droit de jouer « straight » les œuvres d’un des maîtres du « free », tout en assignant à l’improvisation une place donnée, dans la vieille tradition du jazz : thème, chorus, reprise du thème.

On se demande si les convictions artistiques de Sinton avaient besoin de ce discours imprimé : son disque parle de lui-même. Entouré d’instrumentistes de qualité dont le dévouement à la « cause » ne fait pas le moindre doute, il produit une musique dense et cohérente. Il y a dans le jeu du quartet un engagement et une sincérité palpables. Le passage du soprano au baryton enlève à la musique de Steve Lacy un peu de son acidité caractéristique et produit une sonorité plus ronde, moins anguleuse, avec une tessiture très ample aussi car Josh Sinton explore abondamment les aigus de son baryton. Le résultat est finalement plus proche, par le son, d’Old and New Dreams que des trios et quartets de Lacy. C’est en particulier le cas d’« Esteem », de « We Don’t » ou de « The Uh Uh Uh ». La trompette de Kirk Knuffke, souvent utilisée à l’octave avec le baryton, n’y est sans doute pas étrangère.

Les passages improvisés, même si leur place est balisée, sont aventureux : en témoignent le jeu collectif de « Capers » ou le bruitisme introverti, plein de silences et de sons étouffés, du doux-amer « Kitty Malone ». On note également de beaux dialogues entre la batterie et la contrebasse, en particulier sur « We Don’t ».

Polémique mise à part, c’est un album intéressant et d’un abord moins difficile – pour une oreille non avertie - que son illustre modèle. Peut-être une bonne introduction à Steve Lacy ; on peut en revanche se demander si ses inconditionnels y retrouveront leurs petits. Le parallèle fait par Sinton entre son propre travail et celui de Steve Lacy autour des compositions de Monk a ses limites : là ou Lacy tirait Monk vers l’extrême hardiesse, on a le sentiment qu’Ideal Bread ramène Lacy vers une certaine « normalité ». Il arrive qu’une interprétation en dise plus long sur son époque qu’une création originale !

Une dernière chose : le label KMB Jazz publie ses albums en quantité limitée et en tirages numérotés (nous avons entre les mains le n°71 sur 250). Vous le trouverez cependant assez aisément sur l’Internet.