Chronique

Red Lily Quintet

Jesup Wagon

James Brandon Lewis (ts, comp), Kirk Knuffke (flh), William Parker (b), Chris Hoffman (cello) Chad Taylor (dms)

Label / Distribution : Tao Forms

Figure désormais centrale du jazz outre-atlantique, le saxophoniste James Brandon Lewis propose avec Jesup Wagon un nouvel avatar d’une carrière décidément dorée. Avec le Red Lily Quintet, Lewis s’entoure à la fois de grands noms de la scène américaine (William Parker à la contrebasse et le très chaleureux Kirk Knuffke au cornet), mais aussi Chad Taylor à la batterie, avec qui il avait enregistré l’an passé un duo très remarqué. S’ajoute aussi le violoncelliste Chris Hoffmann, sorte de point d’ancrage d’un quintet qui s’articule sur le dialogue entrelacé de deux paires ; une rythmique diabolique, qui fait merveille dès « Lowlands of Sorrow », et un échange incessant et chaleureux entre le cornet de Knuffke et le ténor puissant de son hôte. On pense à Ornette Coleman, bien sûr, dans le feu crépitant et pourtant toujours plein de contrôle de « Arachis » où Chad Taylor ajoute de la vitesse au mouvement permanent, mais on peut pas non plus faire l’impasse sur des figures comme Julius Hemphill, notamment son Dogon A.D. Des filiations qui placent Lewis dans une tradition qu’il revendique, à l’instar de « Fallen Flowers », hymne qui oscille entre nostalgie et combat avec un très beau dialogue entre les soufflants et le violoncelle.

Ces fleurs, ce sont celles de George Washington Carver, une grande figure des Africains-américains à cheval entre le XIXe et le XXe siècle. Éminent botaniste, il est de ces modèles qui ont marqué la lutte pour les droits civiques. C’est le thème de ce Jesup Wagon, conçu par James Brandon Lewis comme un portrait en plusieurs stations, autant d’instantanés dont se charge un quintet particulièrement soudé. Dans « Experiment Station », la contrebasse de Parker est l’étincelle qui fait parler la poudre. Il en résulte une chimie particulière, puissante qui explose en de nombreux fragments, le plus marquant étant sans doute cette algarade entre Knuffke et Taylor, sans doute l’une des plus réjouissantes de ce bien bel album, sur un roulement intense qui se stabilise peu à peu.

La rencontre entre Kirk Knuffke et James Brandon Lewis est l’une des plus excitantes de ces dernières années. Elle promet, espérons-le d’autres belles choses à venir. Leur entente est communicative, et c’est la clé de voûte de Jesup Wagon. Ce titre d’album n’a rien d’anecdotique. Le Jesup Agricultural Wagon, c’était la charrette que Carver utilisait pour faire classe itinérante. C’est un symbole de la transmission du savoir et de la perpétuation. Sans chercher forcément le parallèle, on ne peut que rapprocher ceci de la rencontre - ancienne, déjà dans Divine Travel en 2014 - avec William Parker. Il y a davantage ici qu’un passage de relais intergénérationnel qui fait merveille dans le très beau « Chemurgy » où le contrebassiste fait montre d’une grande générosité. Il y a une fraternité, une direction similaire qui s’inscrit dans une certaine lecture politique de la Creative Music, dont James Brandon Lewis est depuis longtemps l’un des grands espoirs. Une lumière qui ne cesse de briller grâce à ce très beau disque paru chez Tao Forms.

par Franpi Barriaux // Publié le 7 novembre 2021
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