Chronique

Jeff Lederer

Guilty !!!

Jeff Lederer (sax, fl), Kirk Knuffke (tr), Bob Stewart (tub), Matt Wilson (dm), Curtis Hasselbring (tb), Mary LaRose (voc)

Label / Distribution : Little (i) Music

Il y a bien entendu un geste très désabusé à placer l’album Guilty !!! du saxophoniste Jeff Lederer sur la platine quelques jours après. Après quoi ? Le pire cauchemar des États-Unis et peut-être bien du Monde, le retour de l’agent orange, l’élection de Trump. Pourquoi ? Parce que Guilty !!! est un pamphlet, une pure colère new-yorkaise pleine de classe et de souplesse contre cette vague brunâtre qui ne peut pas briser les digues du jazz. « Guilty !!! » et l’harmonisation de multiples sentences, jusqu’à l’ivresse, par un brass-band fiévreux et rigolard où l’on retrouve des purs produits new-yorkais, de Kirk Knuffke au cornet en passant par le tromboniste Curtis Hasselbring, très central dans la Creative Music de la côte Est.

On connaît d’abord Lederer pour son travail avec sa compagne, la chanteuse Mary LaRose, notamment sur l’étonnant Out There consacré à Dolphy. Mais aussi avec Joe Fiedler. Récemment, on avait pu apprécier également Schoenberg on The Beach qui marquait un fort attachement à la musique contemporaine et ses rhizomes dans le jazz. C’est le jardin de Jeff Lederer, dans un album qui lui ressemble et fonde le portrait de l’Amérique qu’on aime, celle qui offre le groove combatif du tuba de Bob Stewart comme structure d’un marching band chahuteur sur « We The People ». Avec Mary LaRose à la voix et quelques artifices électroniques, « Guilty !!! » offre une plongée dans le cœur progressiste de l’Amérique du Nord ; en un mot, dans le bondissant « Buttigieg vs. Sanders », appuyé par la batterie folâtre de Matt Wilson, c’est Sanders qui gagne. Et ça met du baume au cœur.

Jeff Lederer, avec Guilty !!!, s’insère dans la grande fresque politique du jazz étasunien qui s’oppose au suprémacisme de retour en vogue. Avec un choix esthétique volontairement planté au plus profond d’un post-bop anguleux, le disque parvient à redonner chaleur et espoir sans tomber dans la célébration d’un glorieux passé déprimant. La reprise de « Fables Of Faubus », qui garde sa force iconoclaste et turbulente, en témoigne. Cette musique sera toujours debout face au pire, et nous donnera de la force.

par Franpi Barriaux // Publié le 17 novembre 2024
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