Chronique

Jakob Bro

Gefion

Jakob Bro (g), Thomas Morgan (b), Jon Christensen (dr)

Label / Distribution : ECM

Dans la mythologie nordique, Gefjon est une déesse associée à la charrue, à l’île danoise de Seeland, à la virginité et à la divination. Si le lien entre la première notion et la musique de ce trio pourrait nous échapper, on y décèle bien les trois autres : un sens de l’espace et des climats résolument scandinaves, une certaine candeur mélodique, ainsi que des intuitions partagées qui confinent parfois à la télépathie.

Originaire du Danemark, Jakob Bro affiche un impressionnant CV : il a joué avec quelques-uns des ambassadeurs de l’élégance en jazz : Paul Motian, Lee Konitz, Joe Lovano, Mark Turner, Kenny Wheeler, Tomasz Stanko ou encore Tom Harrell. Des musiciens qui ont œuvré à rendre le jazz un peu moins claustrophile, et dont le guitariste a hérité un beau sens de l’ellipse et des nuances. Si son jeu rappelle les grands espaces de Bill Frisell (avec qui il a d’ailleurs enregistré trois albums chez Loveland Records, en compagnie de Lee Konitz) [i], ces étendues sont chez lui nimbées d’un brouillard dont il aurait extrait de minces silhouettes mélodiques.

Les premières notes de Gefion semblent provenir du large, comme lancées d’un navire qui avancerait à tâtons à travers les brumes. Peu à peu, des formes connues y prennent corps, fragiles, toujours sur le point de s’y dissoudre à nouveau. Né du silence et des brumes, l’album y trouvera aussi son terme.

Thomas Morgan et Jon Christensen sont les partenaires rêvés pour traverser ces étendues évanescentes ou se tenir à leur lisière : plutôt taiseux, mais toujours pertinent, Christensen égrène ici et là diverses résonances tirées de ses cymbales. D’une étonnante sensibilité [1], Thomas Morgan se cantonne assez peu dans le rôle qui pourrait être le sien, préférant souvent faire chantonner l’aigu de sa contrebasse dans l’espace laissé par le le guitariste.

Un album d’une sérénité dépouillée et presque morne, comme un paysage hivernal observé à travers des lunettes embuées. Si vous êtes de ceux qui ne trouvent pas absurde de se promener en bord de mer par un matin de janvier, Gefion est peut-être fait pour vous.

par Victor Pénicaud // Publié le 13 avril 2015

[iBalladeering avec Bill Frisell, Lee Konitz, Ben Street & Paul Motian (2009) ; Time, avec Frisell, Konitz & Thomas Morgan (2011) ; December Song, avec Frisell, Konitz, Craig Taborn & Morgan (2013).

[1Qualité qui fait de lui un contrebassiste très demandé : il a notamment tourné et enregistré aux cotés de Paul Motian, John Abercrombie, Steve Coleman, Craig Taborn, Dave Binney et Tomasz Stanko.