Portrait

James Brandon Lewis : la curiosité n’est pas un vilain défaut

L’insaisissable saxophoniste présente un nouveau groupe pour poursuivre son exploration du patrimoine afro-américain.


James Brandon Lewis @ Diane Allford

James Brandon Lewis est un artiste doté d’une avide curiosité intellectuelle qui l’amène à monter des groupes — il n’aime pas parler de « projets » — très différents les uns des autres et à rendre hommage à des personnalités marquantes quoique méconnues. Ainsi de son dernier album The Jesup Wagon (TAO Forms), inspiré par l’œuvre d’un génie et homme à tout faire qui a excellé dans de nombreuses disciplines, George Washington Carver.

James Brandon Lewis @ Antonio Porcar Cano

On lui doit, entre autres, l’invention de ce wagon. Embauché par le Tuskegee Institute dans l’Alabama comme directeur de recherche en botanique et en agronomie, il conçoit en 1906 ce véhicule, une salle de classe ambulante dont l’objet est d’instruire les fermiers afro-américains du sud des États-Unis. Il donnera donc à ce wagon le nom du philanthrope qui finance ses recherches, Morris Ketchum Jesup.

Le goût de la découverte du saxophoniste s’étend bien entendu aux sons. C’est pourquoi, comme une abeille, il butine d’un groupe à l’autre. Le dernier en date, le Red Lily Quintet, inclut Kirk Knuffke au cornet, Chris Hoffman au violoncelle, William Parker à la contrebasse et au guembri, et Chad Taylor à la batterie. Lewis change de registre en mettant l’accent sur les cordes. « Au départ j’avais même envisagé un joueur de kora, mais cela n’a pas pu se faire, dit-il. J’ai alors songé à William [Parker] qui joue du guembri. L’idée d’avoir des cordes est venue de mon désir d’avoir un son populaire, attaché au terroir. »

Si Lewis dirige de multiples groupes avec un personnel qui tourne souvent, Taylor fait figure d’exception. « Lui et moi avons une connexion musicale profonde, avoue le saxophoniste. Nous partageons de nombreuses influences et je ne me sens jamais limité par les domaines que nous pouvons explorer. Il est musical et il contribue à la mélodie, même s’il est batteur. »

Si tu n’as pas de problème à résoudre, composer n’a aucun intérêt

L’Américain est un musicien exigeant qui n’aime guère laisser les choses au hasard. Ainsi, il estime que 90 pour cent de la musique figurant sur The Jesup Wagon a été couchée sur la partition. « Je tiens à ce qu’on me considère comme un compositeur, explique-t-il. La responsabilité du musicien est de faire quelque chose à partir de ce qui est sur la feuille de papier tout en ayant de l’espace pour faire ce qu’il ou elle veut, et ainsi apporter sa pierre à l’édifice. »

La pandémie ne semble pas ralentir le saxophoniste qui estime avoir encore beaucoup à faire. Un prochain album est déjà prévu dans les mois à venir, A Code of Being, avec le quartette qui a enregistré Molecular (Intakt Records). Sa quête sonore permanente lui posera un défi car il n’est pas question de reproduire la tonalité du premier album. Cependant, cette approche fait partie selon lui d’un processus naturel.
À ce titre, il aime citer son ancien professeur, le trompettiste Wadada Leo Smith : « Si tu n’as pas de problème à résoudre, composer n’a aucun intérêt. » D’autre part, Lewis prévoit un album solo qu’il compte intituler Self Portrait : Origin. « J’ai toutes ces idées et ces sons dans ma tête, qui ne peuvent pas y rester, dit-il. Tout cela doit sortir. Ce que je crains le plus, c’est la complaisance. Il faut continuer à être curieux pour éviter de tomber dans la complaisance. » On attend avec impatience les prochaines trouvailles du saxophoniste.