Chronique

James Brandon Lewis Red Lily Quintet

For Mahalia, with Love

James Brandon Lewis (ts), Kirk Knuffke (cornet), Chris Hoffman (vcl), William Parker (b), Chad Taylor (dms).

Label / Distribution : Tao Forms

S’il était besoin d’une preuve supplémentaire de la place à laquelle peut prétendre le saxophoniste américain James Brandon Lewis comme garant d’une tradition renouvelée de la musique afro-américaine, ce nouvel enregistrement entièrement dévolu à Mahalia Jackson pourrait en constituer l’élément définitif.

Figure majeure de ce qui constituera l’épopée du Rhythm’n’Blues de la deuxième moitié du XXe siècle (à commencer par Aretha Franklin), la « reine du gospel » reste un modèle du genre, dans le prolongement duquel le saxophoniste se place. Quelques-unes des compositions de la grande tradition sacrée américaine qu’elle a su magnifier sont reprises ici avec intensité. Entouré pour ce faire par son Red Lily Quintet, Lewis se situe à l’exacte croisée entre une histoire séculaire qui plonge loin ses racines et ce qui en a constitué l’apogée au tournant des années soixante : le free jazz.

Acte de redéfinition esthétique comme celui d’une revendication politique, le free est vraisemblablement ce qui irrigue le mieux la pratique de Lewis. Un son plein et chaud qui brûle à chaque note et qu’il parvient à équilibrer entre une approche mélodique parfaitement chantante et un soin rythmique permettant une jonction fluide avec ses partenaires de jeu.

La paire basse/batterie, majuscule puisque elle réunit William Parker et Chad Taylor, sait se plier aux inflexions du leader en navigant avec pertinence entre accompagnement et relance au creux duquel s’immisce le violoncelle acidulé de Chris Hoffman qui rappelle les cordes plus aiguës de Leroy Jenkins en son temps. Une fois de plus, il est important de noter l’intelligence de jeu du cornettiste Kirk Knuffke à la sonorité portée haut et qui complète celle de Lewis sans jamais chercher à l’écraser.

Car ce qui fait la pertinence de cette formation, c’est sa capacité à réinvestir des traditionnels pourtant maintes fois rebattus en leur donnant une dimension actuelle, la capacité aussi de s’aventurer sur les territoires d’une musique libre avec respect mais sans chercher l’exagération sonore. Le discours est toujours d’une grande clarté et son authentique sincérité fait de ce disque un hommage réussi.

À noter sur la version étendue, le titre « These Are Soulful Days », joué aux côtés du quatuor à cordes Lutislawski qui, par sa dimension soyeuse et étale aux teintes grisées, évoque Lady in Satin de Billy Holiday et ouvre, là encore, de nouvelles pistes au travail de James Brandon Lewis. 

par Nicolas Dourlhès // Publié le 4 février 2024
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