Tribune

Jazzkaar, noble politique

Les choix esthétiques sont aussi des choix politiques : Jazzkaar en guise d’illustration.


Valter Soossalu et Kristen Kütner au Jazzkaar 2022 © Siiri Padar

Si votre pied est jazzistique, fouler le pavé de la capitale estonienne à l’occasion du Jazzkaar est vivement conseillé. Mais l’organisation d’un festival n’est pas qu’une geste esthétique. Elle relève aussi de choix politiques. Illustration avec l’édition 2022 du festival de Tallinn.

Le centre névralgique du festival est situé dans le quartier Telliskivi où le Vaba Lava jouxte le Fotografiska : ces deux salles accueillent la quasi-totalité du festival. Les festivaliers peuvent ainsi passer sans discontinuité de l’une à l’autre pour profiter de ce marathon de concerts.
Ainsi, quand le trio d’Holger Marjamaa quittait la scène du Vaba Lava celui composé de Raivo Tafenau, Meelis Vind et Ricardo Padilla attaquait les hostilités au Fotografiska. Et une fois celui-ci terminé, on pouvait repartir directement au Vaba voir le quartet de Maciej Obara puis revenir une dernière fois au Fotografiska pour le trio io. Si, en plus, l’on était doué d’ubiquité, il était tout à fait possible d’assister au concert d’Anett Tamm et Johannes Laas dans la vieille ville. C’est ainsi que lorsque Tallinn se fait jazz, les choses ne sont pas faites à moitié.

Meelis Vind au Jazzkaar 2022 © Siiri Padar

L’autre caractéristique de ce festival est la promotion de la scène estonienne. Un geste politique, donc, et les organisateurs ont fait leur la formule « Small Country, Big Jazz ! ».
L’invitation de journalistes hors Estonie, en l’occurrence Citizen Jazz, Jazzthetik, Jazzwise, Polish Radio 2, LSM.lv ou encore TVNet, répond à cette ligne. La réalisation d’un livret 2021/2022 Jazz Export par Jazz Estonia est, elle aussi, révélatrice de ce fil conducteur. D’ailleurs la présentation va droit au but : « The aim of Jazz Estonia is to develop and promote Estonian jazz music both at home and abroad ». Il y a ici, de manière très affirmée, le souci d’accompagner les musiciens estoniens. Et c’est fort heureux puisque, vu de France, on a tout intérêt à découvrir cette scène. Très peu de musiciens ont en effet une notoriété qui va jusqu’aux marges occidentales de l’Europe.

La saxophoniste Maria Faust ou encore le pianiste Kristjan Randalu, chez ECM, sont peut-être un peu plus connus que leur compatriotes mais leur aura mériterait d’aller au-delà encore. Reste que les faire figurer dans la programmation, tout comme Raivo Tafenau, Meelis Vind, le Valter ’s harpejii Band, le Eesti Keeled, l’ode à la forêt de l’ensemble de Joel Remmel et Peedu Kaas ou encore, pour ne citer que ceux-ci, Maarja Nuut, est un acte de noble politique.

Certaines formations auront peu de chances de s’exporter à l’international parmi les têtes d’affiche. Ce n’est d’ailleurs pas leur credo. En tout cas, ces formation sont constitutives de la scène estonienne et à ce titre apportent un éclairage essentiel pour qui ne la connaît pas. Reste que faire figurer sur une même programmation Cätlin Mägi d’une part et Kenny Garrett ou Dee Dee Bridgewater d’autre part est aussi l’occasion de se servir de la notoriété des seconds pour porter les premiers.

Cätlin Mägi au Jazzkaar 2022 © Siiri Padar

Le geste politique est aussi le partenariat entre Tallinn et Katowice en Pologne. Les deux villes sont associées pour une reconnaissance culturelle via l’UNESCO. Les deux festivals Jazzkaar et Jazzart sont partenaires. D’où la présence dans la programmation - et ça n’altère aucunement leur qualité musicale - de Marciej Obara ou encore du trio_io.

Jazzkaar est un festival avec une ligne politique certaine - d’ailleurs, pour cette édition, les réfugiés ukrainiens étaient invités à assister gratuitement aux concerts - et on imagine volontiers qu’il y a là la volonté des pouvoirs publics d’inscrire leurs actions au service de la création et de leurs administrés.