Chronique

Paul Lay trio

Blue In Green - Tribute To Bill Evans

Paul Lay (p), Clemens Van Der Feen (cb), Dré Pallemaerts (d)

Label / Distribution : Scala Music

Il est maintenant devenu tout à fait habituel de s’émerveiller de la musique de Paul Lay et, une fois de plus, le pianiste vient d’accoucher d’un superbe album, en l’occurrence Blue in Green, Tribute to Bill Evans, un live commandé et enregistré à la Piccola Scala de Paris joué en trio avec Clemens Van Der Feen et Dre Pallemaerts avec lesquels Paul Lay a déjà enregistré et s’est produit à maintes reprises. La référence au pianiste américain est programmatique puisque c’est autour de son répertoire que le disque a été conçu et réalisé. Mais elle l’est au moins à double titre : d’abord, Bill Evans incarne un modèle au-delà même des seuls pianistes ; ensuite, Paul Lay vient inscrire sa musique, et non pas ce seul disque, dans les pas de son immense prédécesseur.

Que dira-t-on de ce disque ? Qu’il est très beau. C’est effectivement le cas mais on serait encore en-deçà. C’est superbe, c’est vrai mais, mieux encore, cela rend complètement désuet le clivage entre les modernes et les anciens. C’est en effet à la fois très moderne et complètement respectueux de la musique de Bill Evans. Or, c’est loin d’être évident et c’est surtout le signe d’une grande intelligence. Les notes d’Yvan Amar dans le livret commencent par « Rien de plus risqué qu’un hommage à Bill Evans pour un pianiste » et c’est tout à fait vrai. Jouer son répertoire, c’est s’exposer à la comparaison ; comparaison avec Bill Evans mais aussi avec tous ceux qui ont, depuis des lustres, repris ses compositions. Aussi quand on dit que le trio dépasse le clivage entre anciens et modernes, c’est quelque chose de bien plus fort ici qu’un parti pris militant.

En témoigne notamment l’éponyme « Blue in Green », morceau emblématique s’il en est, paru sur Kind of Blue de Miles Davis. On compte par milliers, si ce n’est plus, les reprises de ce qui est devenu un standard de jazz et parmi elles, des versions merveilleuses (celle en duo entre Marc Copland et Dave Liebman sur Bookend ou celle par Jack de Johnette et Ravi Coltrane sur In Movement). La version que proposent Paul Lay, Clemens Van Der Feen et Dré Pallemaerts pourrait faire partie de ce panthéon. Elle se déroule sur près de dix minutes et le trio l’habite à merveille et la magnifie. Mais l’album n’est pas réductible à ce seul morceau, quand bien même il a donné son titre au disque. Les plus de dix minutes durant lesquelles le trio de Paul Lay joue « The Two Lonely People » sont du même acabit. Après une introduction en solo sous les dix doigts de Lay, le morceau se love dans une mélancolie idoine sur laquelle, dans un premier temps, Clemens Van Der Feen prend un chorus qui allie à la fois beaucoup d’humilité et d’expressivité ; puis, dans un crescendo très bien amené, vole et virevolte le piano.

Le concert se termine avec « Funkallero », plus explosif, comme l’indiquent son nom et les applaudissements dignes de la chance et du flair que les spectateurs inspirés ont eu d’aller jusqu’à la Scala de Paris pour cette première jazzistique dans ses murs.