Chronique

Jeremy Baysse

In C

Jeremy Baysse (g, bnj, mando, cla, perc, elec, fx, objets)

Label / Distribution : Creative Sources

On ne sait pas si Jeremy Baysse est une jolie fille. A priori non, sans porter de jugement sur son apparence, mais il ne semble pas être une fille. C’est pourtant ce que demande Terry Riley dans la très courte partition de In C [1], œuvre emblématique et en do majeur, symbole du courant minimaliste. Une jolie fille jouant une succession de croches. Gardons les croches. On se souvient du guitariste Jeremy Baysse dans le trio Écorchures avec Jean-Luc Petit et Fabrice Favriou. Son instrument était dur, féroce, plein d’effets. Ici, sa guitare est ronde, jouée claire et surtout marquée par les overdubs multiples et les claviers électroniques : synthétiseurs, boîte à rythmes, mais aussi cordes en tous genres, de la basse électrique à la mandoline en passant par le banjo. Comme dans la composition originale, tous les instruments se saisissent des riffs élégants de Riley. A ceci près que Baysse est tout seul pour jouer In C. Alors qu’il faut être plusieurs, logiquement (dont une jolie fille, donc).

L’air de rien, c’est une sacrée performance à laquelle nous convie Baysse. Paru chez Creative Sources, le label d’Ernesto Rodrigues, ce In C solo insiste évidemment sur les boucles et la répétition, sur la progression inéluctable des riffs entre eux qui agissent davantage comme un mécanisme implacable plus que comme une succession chorale, un croisement, une dynamique collective. L’air de rien, c’est un vrai changement de paradigme, et un travail de concentration phénoménal de la part de Baysse qui ne doit pas écouter les autres et tenter des diversions ou des mises en abyme, mais concevoir son In C comme un vrai jeu d’engrenages. Son but, c’est que l’effet général conduise à un mouvement permanent qui ne doit en rien ressembler à un soliloque.

Le pari est pleinement réussi. On a le sentiment d’une escalade d’un sommet par une autre face. Pas forcément plus abrupte mais éclairée différemment : ici avec un vrai parti pris électronique en dépit de l’omniprésence des cordes et des instruments acoustiques. Mais à l’instant d’une montée acide de clavier, nous voici partis dans une « techno manufacturée » que n’auraient pas renié les musiciens de Cabaret Contemporain et qui rend l’expérience de Jeremy Baysse particulièrement passionnante. Le morceau -unique, nécessairement- dure à peine plus d’une heure, la durée moyenne de l’œuvre de Riley, ce qui lui confère un certain ascétisme, parfaitement en adéquation avec le choix soliste qui visite cet œuvre avec bonheur.

par Franpi Barriaux // Publié le 25 avril 2021
P.-S. :

[1Ce qui tient à mon avis, n’ayant jamais vu la partition originale, de la légende urbaine, mais peu importe…