Locatelli / Braida
From Here From There
Giancarlo Nino Locatelli (bcl, cl), Alberto Braida (p)
Label / Distribution : We Insist !
L’amitié et la complicité ne sont pas choses rares dans la musique, ils sont plus souvent qu’à leur tour le moteur de bien des projets. Mais il est rare qu’ils se manifestent sur le très long terme dans une relation duale, unique, irréductible. On pense, près de nous, à Laurent Dehors et Matthew Bourne. De manière plus ancienne et plus globale, on songe à des duos antédiluviens, comme ceux d’Ulrich Gumpert avec Günter Sommer ou, pour ressembler encore davantage à notre présent duo italien composé de Giancarlo « Nino » Locatelli et Alberto Braida, le puissant attachement qui liait Steve Lacy et Mal Waldron. On sait que Locatelli aime Lacy par dessus tout ; sa clarinette dans le bien nommé « Counterpoint » a des sonorités rondes et perçantes, ainsi que des insistances, une forme de martellement qui dit beaucoup de ses influences.
On remarquera que c’est souvent avec une anche ou un piano, voire une batterie que se constituent ces pas de deux. Ici, l’entente est à son paroxysme : sur « Campanile », douce ballade composée par le pianiste, on a le sentiment d’une promenade sans but, juste pour humer le vent ou partager un moment. Il n’y a jamais de heurt, pas davantage de rodomontades, la relation entre Braida et Locatelli est sans nuage, ce qui n’empêche pas les cavalcades détendues. Alberto Braida est le frère musical de Locatelli, c’est ce dernier qui le dit, et non content de participer à de nombreux disques en sa compagnie, lorsqu’il ne fait pas de magnifiques albums solo ou qu’il ne côtoie pas en duo de grands improvisateurs européens comme Wilbert de Joode, il vient se fondre dans le souffle traînant et parfois légèrement acidulé de la clarinette (« Tropus », magnifique final de l’album composé par le clarinettiste).
Voici vingt-cinq ans que Locatelli et Braida construisent ensemble des abris éphémères pour leur amitié. From Here From There a quelque chose de la douceur exclusive de Montaigne et La Boétie : Parce que c’était lui, « C’é un luogo » est un écrin sans défaut mais pas sans relief, où la main droite du pianiste s’offre quelques éclats comme on sculpte une pierre taillée. Parce que c’était moi, « Lucius » est une courte effusion que le piano apaise ou provoque, selon les instants. Il y a une grande douceur dans ce disque paru sur le label We Insist Records. Une célébration qui garde ce qu’il faut de pudeur pour nous garantir encore des secrets à venir et des instants délicieux.