Chronique

Autres Voix de Piano + Daniel Erdmann & Benny Sluchin

Quatre = onze == [7]

Patrick Defossez (p, cla, perc, elec), Anne-Gabriel Debaecker (p, elec, fx), Daniel Erdmann (ts, ss, bs, perc), Benny Sluchin (tb, eup, perc )

Label / Distribution : NEOS

La notion de confluence dont se réclament le pianiste Patrick Defossez et sa complice claviériste et acousmaticienne Anne-Gabriel Debaecker s’exprime à merveille depuis des années dans la formation Autres Voix de Piano. Le duo va à la rencontre de musiciens d’autres horizons, eux aussi aux confins des genres, testant leur limites et leurs contiguïtés dans un univers gourmand d’espace et d’expansion. C’est ainsi qu’il y a quelque temps, nous les avions croisés avec Simon Goubert, à la recherche de la lumière dans la couleur des rythmes. Avec Quatre = onze == [7], ils posent une équation différente, spectrale ou pour le moins ambiguë dans sa formulation, en compagnie de deux invités peu avares de rencontres, le saxophoniste Daniel Erdmann et le tromboniste Benny Sluchin. Le premier vient du jazz, mais goûte les univers fantomatiques au côté de Samuel Rohrer ou de Vincent Courtois. Le second est une figure de la musique contemporaine, ancien élève de Vinko Globokar.

En quatre mouvements aux atmosphères très distinctes, dessinées par l’électronique sensible de Debaecker, le propos s’éclaire. Diplômée d’architecture, la musicienne s’occupe aussi des sons qu’elle sculpte avec hardiesse à force de nappes invasives et de reliefs soudains ; on songe à plusieurs reprises aux tribulations de George Lewis au sein de son Shadowgraph, 5, surtout lorsque dans le « Movement 2 », plus contemplatif, le trombone de Sluchin vient caresser le ronronnement tranquille des machines. Si Debaecker est à l’ouvrage, Defossez se dédie plus à la maîtrise de l’œuvre. À force de basses profondes et d’une main droite inquisitrice, il bâtit des ponts entre les expressions. Va rejoindre Erdmann lorsqu’il s’évade dans des bulles de jazz et des improvisations audacieuses dans le « Movement 1 » ; assiste en permanence ses autres compères dans les constructions infinies de timbres qui balisent leur feuille de route…

Comme le saxophoniste, la grammaire du pianiste baigne résolument dans le jazz. Cela se perçoit dans le fort rocailleux « Movement 4 » ou même dans le très braxtonien « Movement 3 ». Il y a une attention particulière portée à la rythmique, assumée par chacun des musiciens grâce à nombreuses percussions. Ainsi, dans « Movement 1 », Defossez couple son jeu de piano avec la pulsation d’une cymbale. Fruit d’une intense réflexion sur la disposition de l’orchestre, sa spatialisation dans la salle de concert afin de donner l’impression physique d’un son en trois dimensions, Quatre = onze == [7] résout avec aisance son équation complexe. Le produit en est simple : plaisir d’un voyage sans passeport avec des défricheurs de talent.