Chronique

Jî Drû

Fantômes

Jî Drû (fl, voc, vouivre, flûte à nez, bambou peul, bangkok pipe, bouteille), Pierre-François Blanchard (elp, p, synth), Mathieu Penot (dm), Sandra Nkaké (voc, sanza)

Label / Distribution : Label Bleu

Du souffle de la flûte de Jî Drû surgissent des fantômes, des êtres flottant entre deux mondes qui nous rappellent à nos natures finies tout en nous donnant un aperçu de l’infini. Sur son deuxième album en tant que leader, (après « Western », en 2019), le flûtiste nous donne à entr’apercevoir des émotions de l’invisible, que nous avons toutes et tous peu ou prou expérimentées pendant le confinement de 2020. Il convoque ici ses expériences antérieures, marquées par un tropisme groovy et expérimental, récemment mis en pratique au sein du collectif Tribe from the Ashes (qui rend quelque part hommage au collectif de spiritual jazz 70’s de Detroit « The Tribe ») et, même, avant, avec ce son simultanément éthéré et acéré qui le caractérise, sur l’électro dansante des Troublemakers entre autres (ce duo de DJ établi à Marseille avait créé la sensation il y a une vingtaine d’années en sortant un album chez Blue Note).
Son phrasé, empli de volutes qui flirtent avec l’universel, doit autant à son appétence pour le blues profond qu’à sa fréquentation du chant de la machine qui irrigue les dance-floors, quand il ne lorgne pas vers certaines musiques « du monde ». Bien avisé.e cellui qui saura vraiment différencier les différents instruments de la « famille » des flûtes dont il joue - bien que l’on puisse identifier la bouteille… vide certainement ! Il met sa virtuosité au service d’un propos collectif simultanément novateur et archaïque. L’assemblage de ses trilles confondants et de ses notes tenues avec la voix lyrique et soul d’une Sandra Nkaké, avec qui il partage une longue complicité musicale, résonne d’une sensualité onirique.

Il a convaincu l’un des pianistes les plus sensibles et exigeants de l’Hexagone, Pierre-François Blanchard, de s’exprimer principalement au Fender Rhodes, amplifiant les vibrations chargées d’électricité qui émanent de compositions aux allures de rituels chamaniques, notamment sous l’effet du jeu de batterie aux résonances tribales de Mathieu Penot, qui donne au disque une qualité organique bienvenue (le mixage qu’a effectué ce dernier est d’ailleurs excellent). Sa batterie prend des accents épiques, entre grooveries lancinantes et accents symphoniques. Deux violoncelles, présents sur quelques thèmes, confèrent une dose de préciosité bienvenue dans les multivers sensoriels dévoilés ici. Citons également le featuring du rappeur Mike Ladd, dont le flow contribue à la tonalité émancipatrice de l’ensemble.
En devenant réels, sous l’effet d’une musique à la spiritualité certaine, les fantômes convoqués par les artistes qui s’expriment sur ce disque ont la saveur des meilleurs fantasmes de liberté.

par Laurent Dussutour // Publié le 16 avril 2023
P.-S. :

Avec : Mike Ladd (voc), Paul Colomb (cello), Justine Métral (cello)