Chronique

Joëlle Léandre / Lauren Newton

Conversations

Joëlle Léandre (b, voc), Lauren Newton (voc)

Label / Distribution : Not Two Records

Les chemins de Lauren Newton et de Joëlle Léandre se sont maintes fois croisés. Lors des festivités célébrant les 60 ans de la seconde, à plusieurs reprises on a retrouvé la première. D’abord en trio avec le tromboniste Urs Leimgruber, puis en sextet dans la pièce « Figures érotiques ». Enfin en duo, pour ces Conversations enregistrées en public au cœur de l’Europe, à Ljubljana, en 2010. Sur la pochette, deux gamines jouent au cerceau dans une course sans but ; l’ancienne chanteuse du Vienna Art Orchestra et notre tellurique contrebassiste partagent avec elles plusieurs qualités : dextérité, insouciance, mais surtout une liberté intrinsèque qui s’exprime brillamment ici…

Si le duo des deux improvisatrices tient de la rencontre entre deux amies de longue date qui ont déjà partagé Face It ! en 2005 ou Timbre Plus en 2003, l’intransigeance donne à chaque note le parfum de l’inédit. Ces nouveaux chemins aux détours familiers, le duo les emprunte sans round d’observation. Le lent ravinement du silence par l’archet sédimente la voix de Newton. Le babil naissant s’ordonne et s’articule à mesure que Joëlle Léandre s’enivre des basses. C’est ainsi que pour la formidable « Conversation II », la voix de Newton rebondit comme un archet sur les cordes les plus frêles, puis grossit comme on s’extrait de la masse du silence. En enlaçant la rythmique solide et sèche de la contrebasse, Newton libère un scat tourmenté et fiévreux jusqu’à en devenir hyperbolique, à mesure que Léandre part à la recherche d’une mélodie capable d’accueillir leur nomadisme conjugué ; ce sera la ligne enfantine d’« Au clair de la lune ». La patrie des rêveurs, sans doute ! Alors, le flot se calme pour revenir à l’origine. Éternel recommencement d’une musique qui se prépare à d’autres voyages.

Même si deux voix restent le plus sûr moyen de converser, les deux femmes s’offrent des monologues au centre de l’album. Des solos où l’autre n’est jamais loin. On croit parfois entendre la voix de Newton dans l’intensité du son plein de la contrebasse (« Monolog L »). En parallèle, on sent un vrai sens du rythme dans la souplesse vocale de la chanteuse (« Monolog J »), dont les techniques étendues de gorge et de souffle délivrent un groove impeccable… Mais elle n’est pas la seule à donner de la voix. Des heurts de la contrebasse s’extrait souvent celle de Joëlle Léandre, qui s’harmonise à sa comparse avec théâtralité et humour dans « Conversation III ». Dans l’explosif « Conversation V », des syllabes interjetées se superposent, entre japonais désarticulé et français de cuisine. Ce palpitant dialogue, qui se termine sur une ténébreuse « Conversation VI », le confirme : chaque rencontre entre les deux musiciennes est un moment intime et chaleureux qu’on est ravi de partager.