Chronique

Silke Eberhard / Ulrich Gumpert

Peanuts & Vanities

Silke Eberhard (as), Ulrich Gumpert (p)

Label / Distribution : Jazz Werkstatt

Dans certaines rencontres, la transmission n’est pas un vain mot. Le pianiste Ulrich Gumpert et la saxophoniste Silke Eberhard sont certes séparés par une génération, mais à peine par un souffle dans la conception de la Liberté, en musique comme ailleurs. Le mot d’ordre est simplissime : célébrer une certaine forme de tradition sans pour autant se confire dans une posture ; envisager le patrimoine du jazz comme un terrain de jeu en constante mutation, une pâte à modeler multicolore qui aurait le bon goût de ne jamais devenir grisâtre. S’ils se sont côtoyés au sein du B3 quartet, c’est la première fois que les deux solistes se retrouvent seuls. L’admiration mutuelle se sent dans un morceau comme « Peanuts #6 », où l’alto tortueux et pugnace va se perdre dans le jeu toujours foisonnant du pianiste. Les origines classiques de l’un comme de l’autre émergent de chaque intervention, avec plus de complémentarité que de contraste.

Est-il encore besoin de présenter Ulrich Gumpert ? Son complice Günter Sommer et lui appartiennent à l’aristocratie des musiciens qui infléchissent l’Histoire en marche - celle de leur pays et de son mur, qu’ils ont contribué à lézarder, et celle du jazz européen dont ils représentent une partie de l’âme. Depuis plusieurs années, notamment depuis La Paloma, Gumpert a des envies de duo, lui qui a surtout joué seul face à ses maîtres ou au cœur de quartet mythiques. De ce besoin de dialogue est né Peanuts & Vanities, où de courtes improvisations viennent encadrer deux reprises du standard de Dizzie Gillespie « Salt Peanuts » dans une version robuste et expéditive. L’atmosphère sombre et caressante d’un morceau comme « Vanities #5 », met en valeur le timbre délicieusement sablonneux de l’alto, dont le claquement omniprésent des clés vient rythmer une lente divagation « satienne. » Celle qui sera toujours l’horizon de Gumpert.

Il est en revanche indispensable de présenter Silke Eberhard. Son alto mériterait d’être bien mieux célébré dans l’Hexagone, mais sa récente collaboration, au sein du TEE Ensemble, avec Alexandra Grimal ou Sébastien Boisseau contribuera sans doute à la consacrer. Habituée des duos, on lui doit notamment une Ornette Coleman Anthology avec Aki Takase. C’est également une fantastique arrangeuse : le magistral Complete Works of Eric Dolphy, avec son quartet de soufflants Potsa Lotsa, est, à ce titre, à découvrir sans retard.

Le duo de Peanuts & Vanities exprime avec clarté et jubilation un goût turbulent pour la liberté et la simplicité. C’est ce détachement, cette légèreté qui fait le charme de cette rencontre. Elle confirme que le jazz d’outre-Rhin n’a pas fini de nous surprendre.