
Joëlle Léandre & Lauren Newton
Great Star Theater, San Francisco
Joëlle Léandre (b,voc), Lauren Newton (voc)
Label / Distribution : Other Mind
On pensait que Lauren Newton et Joëlle Léandre s’étaient tout dit. Que depuis les années 90 qui auront engendré leur rencontre, les 30 ans de Face it ! et de Conversations avaient scellé un langage commun, un babil entier où la voix de Newton et l’archet de Léandre se trouvaient comme en terrain connu. Mais l’homophonie aime la terra incognita, et c’est en 2022, sur le beau label Other Mind, que les deux femmes ont remis l’ouvrage sur le métier ; on pense à l’écoute de « Strata » avoir les clés de cette voix inquiète et ronronnante qui s’épanche sur un archet bondissant. Mais en réalité, ce sont de nouvelles textures et une foule de détails que les improvisatrices nous offrent. Une force bondissante et sur le qui-vive, qui crée de nouveaux verbes et de nouveaux ponts.
C’est à l’occasion du festival du label Other Mind à San Francisco que cette rencontre a eu lieu, et le résultat nous en arrive aujourd’hui. Comment s’en étonner ? De Braxton à Riley en passant par Morton Feldman, OM nous propose un catalogue des plus riches au confluent des musiques improvisées et contemporaines. « Dragonstar » propose d’ailleurs une belle illustration de cette position éditoriale en laissant Lauren Newton jouer aux limites de sa voix, dans un souffle dédoublé, harmonisé avec la contrebasse. C’est un terrain qu’on transforme sous nos yeux, une lande caillouteuse aux aspects inhospitaliers qui se révèle fructueuse et tout à fait arable. Le jeu de Joëlle Léandre paraît dans un premier temps discret, presque lointain, mais le retour des infrabasses montre sa pleine présence, son ancrage profond qui fait fleurir la plus capiteuse des improvisations de la vocaliste.
Dans ce disque intense et très court, c’est le dernier morceau qui fait office de feu d’artifice. La contrebasse tient une note pleine et entêtante pendant que Newton travaille les mots à leur racine, jouant sur le rauque du souffle et le claquement des labiales. On songe que dans bien des cas, Joëlle renverserait la table, mais elle se tient ici en amie chère, en soutien, une vraie main tendue. C’est la cohésion incroyable de ces deux légendes qui porte le reste de leur prestation à ébullition, pour une œuvre qui se renouvelle comme une étincelante mue périodique.