Chronique

Journal Intime

Lips On Fire

S. Bardiau (tp, bg), F. Gastard (bs, ts, ss, p, Korg MS10, Fender Rhodes), M. Mahler (tb), R. Burger (vcl, elg), D. Charolles (dm, perc, arrosoir électrique, graviers)

Label / Distribution : Labelouïe

Interpréter la musique de Jimi Hendrix avec trois instruments à vents est une gageure, ou pour le moins une entreprise osée. Il fallait donc trouver la bonne approche pour s’approprier cette matière première et la pétrir jusqu’à ce qu’en ressorte une démarche cohérente, qui ne dénature pas l’esprit de l’original et soit assez riche pour justifier son existence. Autant le dire tout de suite, Journal Intime respecte à la lettre ce cahier des charges en jouant « dans l’esprit », et non « à la manière de ».

Car enfin, au-delà de l’aspect totalement novateur de son jeu de guitare pour l’époque, ce qui caractérise la musique d’Hendrix, c’est le feu. Celui qui sort de son ampli, pas celui qui brûle sa guitare. Le feu et une propension à utiliser le studio comme prolongement de l’instrument ; une conception que l’on retrouve ici dans le subtil travail du mix et l’adjonction ponctuelle d’effets sur les cuivres (géniale distorsion sur le bugle de Sylvain Bardiau sur « All Along The Watchtower »).

Sept reprises, des compositions de Frédéric Gastard et Matthias Mahler inspirées d’Hendrix et une improvisation collective constituent le répertoire de ce disque. On navigue donc entre originaux et relectures fleuries. Le traitement réservé à ces classiques du rock est réjouissant et l’auditeur se prend avec plaisir au jeu de la comparaison, retrouvant ici et là les éléments des originaux repensés - les cuivres reprenant une phrase chantée, un riff de guitare ou une phrase rageuse échappée, à la fin des années soixante, d’une Stratocaster jouée la tête en bas…).

Le trio a aussi eu la bonne idée de ne pas s’enfermer dans une sorte de folklore conservateur en jouant la carte du « tout à trois » - nul besoin de mettre en valeur ce genre de détail si le fond est suffisamment percutant. Sa palette est ainsi élargie, sur certains titres, par l’attirail de l’excellent Denis Charolles, la voix grave et assurée de Rodolphe Burger ou ses ponctuations guitaristiques loin de tout cliché, ainsi que par l’adjonction de différents claviers joués par Frédéric Gastard. Le rendu de l’ensemble est bluffant sur le plus long titre du disque « 1983… A Merman I Should Turn To Be », fresque où viennent se télescoper jazz, rock et funk.

Dans son instrumentation la plus épurée, Journal Intime déploie une belle énergie. Les lignes puissantes de Gastard servent souvent de point d’ancrage à des harmonies cuivrées d’où s’échappent de jolies phrases. Les entrelacs des deux cuivres et du saxophone sont passionnants car imprévisibles et sans cesse renouvelés. Original et pétillant, Lips On Fire est un album totalement abouti qui rend le plus beau des hommages à Jimi Hendrix : faire vivre sa musique avec humour et modernité. De la respectueuse irrévérence de cette formation atypique naît un projet dont la fantaisie, le bon goût et la profondeur interpellent immédiatement et durablement l’auditeur