Chronique

Coronado

Au pire, un bien

Matthieu Metzger (as), Gilles Coronado (g), Antonin Rayon (orgue), Franck Vaillant (dms) + Philippe Katerine (voc)

Label / Distribution : La Buissonne / Harmonia Mundi

L’orgue et la guitare agglutinent leurs notes jusqu’à former d’épais cumulus anthracite. Le saxophone, brillant, les traverse, les transperce. La batterie se répand en rythmes et sonorités. La musique divague, s’étend, change. Ici une rêverie, là un riff incendiaire. Elle n’est pas vraiment classifiable car elle n’a que faire du nom qu’on lui donne. C’est probablement le nom du groupe qui est le plus parlant. Coronado. Ce qui nous évoque évidemment le Gros Cube d’Alban Darche, les récentes formations de Louis Sclavis, et plus encore peut-être cette famille du jazz français au sein de laquelle Gilles Coronado est de toutes les fêtes, souvent en compagnie de son acolyte Franck Vaillant : Caroline, Benzine, Francis et ses peintres, Pearls Of Swines, Dum Dum, Thôt… L’évocation (liste non exhaustive bien sûr) de ces expériences est peut-être le meilleur moyen de situer le propos. Comme pour les groupes suscités, Coronado - le quartet - trouve un équilibre juste entre la sophistication des morceaux et la spontanéité du jeu où s’imbriquent le vocabulaire du jazz et l’énergie du rock.

Nouvelle mouture d’un quartet longtemps mis en veille par le guitariste (Urban Mood), le groupe représente une synthèse des univers de son leader. Celui-ci convie, comme pour satisfaire toutes ses « racines », le chanteur Katerine pour la courte chanson « Au pire, un bien » qui donne son nom à l’album et qui, comme les instrumentaux au milieu desquels elle est située, se caractérise par de nombreux changements de rythmes. Les quatre musiciens ne sont pas gênés par ces revirements formels, mais semblent au contraire les exploiter pour donner au jeu collectif une nouvelle impulsion à chaque virage. Peu importe donc que les parties soient calmes ou mues par quelque fièvre expressive. Dans un cas comme dans l’autre, le soin porté à la profondeur du son et surtout à la portée visuelle des morceaux est patent. Tous appellent une histoire, et nombreux sont les passages cinématographiques qui nourrissent l’imagination de l’auditeur. C’est que, comme pour nos images mentales, la musique est installée peu à peu. « La Traque » le montre bien, avec cette longue introduction durant laquelle le saxophone tourne autour de ce qui va devenir le fondement du morceau. Ou l’un d’entre eux, puisque s’ensuivent une parenthèse atmosphérique puis une fin tendue, presque oppressante. Parlons de multiplicité d’émotions plus que de mélange des genres. Car ce serait mal juger de la cohérence d’un discours parfaitement maîtrisé, jusque dans la juxtaposition de lignes de fuites. Rythmes et couleurs harmoniques cassés, assemblés, disposés, servent un propos complexe au sein duquel les musiciens naviguent avec aisance. Les ambiances acides de « La fin justifie le début » sont ainsi propices aux interventions de Matthieu Metzger ou d’Antonin Rayon, qui y déploie un solo volcanique tandis que la batterie s’emballe, vite rejointe par une guitare incisive et un saxophone brûlant. Dans une toute autre énergie, la musique peut être conduite avec plus de sérénité ; des ambiances brumeuses surgissent, comme sur « Presque joyeuse » ou sur la première partie de « La commissure des lèvres », avant qu’un riff de guitare et quelques volutes de saxophone y apportent un optimisme inattendu.

L’impressionnant travail de mise en place s’efface devant une dimension narrative largement dominante. Au pire, un bien est tout sauf un casse-tête. Car si son contenu est complexe, mouvant, le plaisir que l’on prend à l’écouter est immédiat. Sa richesse ne fait que nous inviter à y revenir pour explorer de nouvelles pistes d’écoute. Ou simplement pour se laisser porter encore par le son puissant et l’énergie palpable qui le caractérisent.