Scènes

Ça Tricote à l’Improviste : Marcel et Solange et La Scala


Le Tricollectif et l’Improviste viennent d’entamer une collaboration régulière. Chaque mois la péniche ouvrira sa cale aux groupes issus de ce collectif orléano-parisien dont les disques nous ont séduits, qu’il s’agisse de Marcel et Solange, du trio de Théo Ceccaldi ou encore de Walabix. Le principe de ce rendez-vous mensuel est simple : deux groupes, un set chacun. Pour commencer, Marcel et Solange et La Scala pour une soirée pétillante et emplie de savoureux instants.

Marcel et Solange, photo Christian Taillemite

Le trio Marcel et Solange se charge du premier set. Gabriel Lemaire (saxophone alto et clarinette alto), Valentin Ceccaldi (violoncelle) et Florian Satche (batterie) jouent des titres majoritairement issus de leur disque, à savoir une série de portraits de personnages imaginaires dont il appartient à l’auditeur d’imaginer l’histoire. On croise donc « Marcel », « Solange » mais aussi leur cochon « Pâquerette », ou le « Champ de patates » attenant à la ferme. Florian Satche, qui se charge de présenter les morceaux avec humour, fournit peu d’explications. Tant mieux, car la musique possède assez de matière pour solliciter l’imaginaire. A nous, donc, d’imaginer derrière les assauts du saxophone alto la personnalité haute en couleur de Solange, de visualiser ce champ sous la lumière rasante du matin qu’évoque le motif tournoyant du violoncelle, ou de nous réjouir de ne pas être à la place de Pâquerette, dont la batterie accidentée évoque le destin potentiellement tragique. La musique n’est pas dénuée d’humour non plus, mais les climats sont parfois graves ou vaporeux, ce qui donne à Lemaire de belles occasions de développer un jeu très personnel où le souffle tient une part importante. On a parfois l’impression d’entendre des balais en arrière-plan, mais ce souffle lui permet surtout de moduler les longues notes atmosphériques de son phrasé évasif. Ses sonorités (tranchante au saxophone, granuleuse et ouatée à la clarinette) élargissent son spectre expressif. Valentin Ceccaldi, qui tient ici un rôle central, se porte garant d’un jeu collectif qui se resserre autour de son violoncelle. En alternant les leitmotivs, les parties d’accompagnement et les apports mélodiques, il crée une diversité réfléchie qui, par là, ne bascule jamais dans l’éparpillement. Florian Satche assied d’ailleurs sur cette solidité un jeu foisonnant et nerveux à l’aide d’une multitude d’objets et d’ustensiles. De nuances presque inaudibles en fracassantes déflagrations, il insuffle au trio une énergie mouvante et chahutée. Chez ces trois musiciens, complémentarité rime avec cohésion, et l’on perçoit dans leur son de groupe les heures de route qui continueront, espérons-le, à s’accumuler.

La Scala, photo Christian Taillemite

Le temps pour nous de prendre un peu l’air et pour Valentin Ceccaldi de changer de chaussures et La Scala monte sur scène. Là non plus, Florian Satche ne se répand pas en descriptions inutiles « La Scala, c’est un moment à vivre », dit-il. Le concert lui donne raison. C’est même un très beau moment à vivre. Théo Ceccaldi (violon, alto), Valentin Ceccaldi, Roberto Negro (piano) et Adrien Chennebault (batterie) proposent une musique où influences classiques et vocabulaire jazz se lient pour colorer ses longs mouvements. Difficile de distinguer ce qui est écrit de ce qui est inventé dans l’instant. On a là des interprètes subtils et de redoutables improvisateurs qui multiplient dans leurs compositions ciselées les points de rencontre et les moments intimistes, se retranchent dans des rôles individuels bien définis ou se rejoignent sur des unissons qui amènent beaucoup de puissance, notamment quand les frères Ceccaldi mêlent leurs cordes frottées à l’archet et font sonner le groupe comme un quatuor enrichi par les harmonies pointues du piano et la rythmique limpide de Chennebault. Lorsqu’ils revêtent leurs habits de solistes, les musiciens partent dans des envolées lyriques intenses permettant au quartet de jouer collectif, souple, et robuste. La musique circule avec aisance, le talent de chacun est éloquent, mais la poétique narrative suffirait à elle seule à justifier notre enthousiasme. Un exemple parmi tant d’autres : à la fin de « Zapoï », qui décrit les tribulations d’un homme ayant bu plus que de raison (quelque part en Sibérie), les cordes se retirent et le batteur, grelots dans une main, entonne un petit chant évocateur d’une errance ou les instruments viennent peu à peu se greffer pour aboutir à un final mélodique et sensible.

La Scala vient d’enregistrer son premier disque (aux studios de La Buissonne et avec Elise Caron) qu’on a hâte de découvrir. En attendant, on pourra écouter ce groupe original et passionnant le 7 mars au Violon dingue, à Nantes. Quand au Tricollectif, il nous donne rendez-vous sur l’Improviste le 3 mars avec le Trio à lunettes et Toons, puis début avril avec le Théo Ceccaldi Trio et Walabix.