Portrait

Kalia Vandever, The Singing Bone

Kalia Vandever, une jeune tromboniste à suivre d’urgence.


Découverte en France dans l’orchestre de Nick Dunston l’an dernier, la jeune tromboniste étasunienne Kalia Vandever ne va pas cesser de nous étonner. Remarquable à l’instrument, dotée une sonorité très douce et claire, sans effets superfétatoires, jouant simple en un mot, elle a fait paraître au début du printemps son premier solo avant de participer à Clone Decay, le nouveau trio de la guitariste Mary Halvorson. Présentation d’un phénomène qui va faire parler d’elle.

Kalia Vandever © Jean-Michel Thiriet

Ce qui marque d’abord, à l’écoute de Kalia Vandever, c’est le son. Elle a souvent dit que, pour elle, le trombone est très ressemblant à la voix, et c’est vrai que lorsqu’on l’entend dans Spider Season avec Nick Dunston, ou lorsqu’elle mélange sa voix à la guitare de Lee Meadvin sur « Seeing Less », dernier morceau de son premier album, In Bloom, on ne peut que lui donner raison. Kalia Vandever a donc le trombone chantant, et l’on peut être surpris de la pureté de ses notes, sans vibrato aucun. C’est sans doute ce qui l’a propulsée dans les milieux pop où sa rigueur fait merveille, de Japanese Breakfast à Lizzo. Dans ce même album paru en 2019, le morceau « Lost in The Oaks » permet d’apprécier ce sens mélodique, sans lyrisme aucun, qui est sa carte de visite ; avec le pianiste Theo Walentini, Vandever construit un univers fait de quiétude et de contemplation, où la base rythmique se charge de rajouter de la complexité, tant du côté du batteur Connor Parks que de celui du contrebassiste Nick Dunston. Le très beau « Unrest », toujours dans ce premier album, en est le parfait exemple : l’urgence portée par le batteur, tranchant avec la quiétude et l’économie de gestes d’une tromboniste dont la coulisse est d’une précision redoutable.

 
Sa complicité avec Dunston est le fondement de ses orchestres. Il y a une similitude très forte entre les deux musiciens. Née sur la côte est des États-Unis, Kalia Vandever a rapidement rejoint New York où elle a rencontré le contrebassiste. Tous deux ont une approche qui doit beaucoup à leur solide formation classique et contemporaine, ce qui a contribué à leur travail en commun dans Spider Season. Regrowth, son second album sorti l’an passé, est notamment marqué par le minimalisme et les formes répétitives. On retrouve, outre Dunston, le batteur Connor Parks qui s’offre un très beau solo sur « False Memories ». Plus abouti, Regrowth est également l’occasion pour Vandever de se lancer dans des compositions plus complexes, à l’image de « Passing Thoughts » où le piano de Paul Cornish, aperçu avec Theo Croker ou David Binney, libère la parole de la jeune tromboniste.

Kalia Vandever sait laisser beaucoup de place à ses musiciens, ce qui donne également du poids à ses interventions. Lorsqu’elle imprime sa propre scansion sur l’excellent « An Unwelcome Visit », vite suivie par son sextet, c’est toute une mécanique qui se met en place, générant beaucoup de liberté. Le dénuement de In Bloom a laissé place à un propos beaucoup plus dense, notamment lorsque le guitariste Lee Meadvin et Nick Dunston se font face sur « Lift ». Passé inaperçu dans l’Hexagone, ce second album de Vandever est à écouter d’urgence.

 
Outre sa sonorité, le travail de Kalia Vandever est marqué par son approche de l’électronique et surtout des boucles. Peut-être entendrons-nous le travail électronique de son instrument dans le Tilt Collective qui réunit trois jeunes pousses new new-yorkaises à suivre absolument. Vandever bien entendu, mais aussi la contrebassiste Carmen Q Rothwell qui avait sorti en 2021 un bien étonnant Don’t Get Comfy, et la chanteuse Isabel Crespo Pardo. Après une tournée cet hiver, si tout va bien, nous devrions découvrir la musique du trio très prochainement.

Kalia Vandever © Bao Ngo

En attendant, les boucles de la tromboniste ont trouvé dans un solo leur place idéale : adepte du chant, Kalia Vandever a résolu l’équation pour faire pleinement chanter son instrument, en le démultipliant. Si We Feel In Turn est vraiment le disque qui va installer la musicienne dans le paysage international du jazz, c’est parce qu’il la distingue absolument. Il s’agit de bien écouter « Mirrored Solitude » pour le comprendre, tant le travail sonore est impressionnant. Diplômée de la Juilliard High School, Vandever navigue dans le morceau à petites touches, avec différentes couches, comme s’il s’agissait d’une aquarelle : les premières prises de l’instrument forment un brouillard épais, cosmique, que la voix principale vient briser en douceur, donnant le sentiment d’une voix intérieure.

Plus loin, avec le plus inquiétant et plus sombre « Teased Trace », Vandever semble confrontée à des démons intérieurs, lancinants et profonds. On le comprend : les paysages sonores qu’explore Kalia Vandever sont résolument intimes, et ne sont pas dénués d’une grande poésie. Elle n’a pas fini de faire parler d’elle.