Chronique

Karoline Leblanc & Paulo J Ferreira Lopes

The Wind Wends Its Way Round

Karoline Leblanc (p), Paulo J Ferreira Lopes (dms).

Label / Distribution : Atrito-Afeito

Après plusieurs aventures en quartet avec des musiciens lusitaniens, notamment Luis Vicente et le fidèle batteur Paulo J Ferreira Lopes, il nous tardait de réentendre la pianiste québécoise Karoline Leblanc dans une formule plus ramassée, en partie seule où avec Ferreira Lopes. C’est une configuration que son label Atrito-Afeito (qu’on pourrait traduire du portugais par « Friction-Affect », ce qui vaut toutes les définitions artistiques) a déjà proposé par le passé, mais Kumbos comme Hypnagogic Cartography étaient largement marqués par l’électronique et la recherche sonore. Ici, avec The Wind Wends Its Way Round, le duo en revient à l’organique, au piano et à la batterie dans un face-à-face où un clavier rayonne seul, intense, débordant, colérique.

Ainsi « Sur fond de cendre », où la main droite de la pianiste semble chercher un passage dans un labyrinthe des profondeurs, sa main gauche marquant avec puissance les limites d’un trajet de plus en plus inextricable, mais qui suggère toujours la possibilité d’un chemin. Le jeu est tortueux, envahi par une rage qui prend bientôt une autre forme, s’articule comme un objet façonné par les flammes se solidifiant à mesure que la température décroît. Le jeu de Karoline Leblanc est tellurique, mais il n’est pas monobloc, ni inutilement brutal ; quand cela s’impose, la rudesse est là, mais c’est la souplesse qui gagne le plus souvent la partie, ainsi qu’une grande inventivité rythmique, même lorsque tout semble concentré dans les profondeurs taciturnes du piano. « Sillages » en est un bon exemple, où quelques geysers vif-argent s’extraient des remous avec une certaine malice.

Dans ce contexte, la relation avec Ferreira Lopes ne peut être qu’étincelles. Si le morceau-titre, longue introduction dans un album assez court, est une sorte de déclaration d’amour free, c’est « Obsidiennes » qui attire l’attention par ses circonvolutions dans un temps plus court : d’abord joué droit devant, avec une certaine gourmandise, la batterie semblant répondre à la puissante main gauche sans surenchère inutile, le piano entraîne soudain son partenaire dans une sorte de tourbillon, un vortex dans lequel on peine à reprendre son souffle. Dans ce contexte, l’approche de Karoline Leblanc est tempétueuse [1] et absolument enivrante. À cheval entre le Canada et le Portugal, la musicienne a acquis une liberté totale qui se nourrit de deux continents. Ce disque est avant tout son expression la plus joyeusement brute.