Chronique

Silke Eberhard Trio

Being The Up And Down

Silke Eberhard (as, bcl), Jan Roder (b), Kay Lübke (dms)

Label / Distribution : Intakt Records

Voici plus de dix ans qu’à intervalles réguliers la saxophoniste Silke Eberhard convoque son plus ancien trio. Dix ans cruciaux pour la musicienne allemande : on l’a entendue avec Aki Takase ou Hans Lüdemann, plus récemment avec Dave Rempis, puis avec Ulrich Gumpert et Uwe Oberg dans des relations duelles. On l’a surtout remarquée avec son magnifique orchestre Potsa Lotsa, avec qui elle s’est taillé une réputation de spécialiste d’Eric Dolphy, mais surtout d’arrangeuse pointue et exigeante. Elle revient toujours néanmoins à ce trio fondateur, comme un nécessaire point d’étape avec une base rythmique qui sait s’adapter à tous les terrains, même lorsqu’Eberhard a besoin d’urgence et de pugnacité, ainsi qu’on l’entend dans Being the Up and Down, et singulièrement dans un morceau comme « Strudel », qui n’est pas sucré comme un gâteau viennois. Kay Lübke à la batterie, anguleuse au possible et Jan Roder tout en finesse, pizzicati d’une souplesse et d’une vélocité rare, accompagnent un alto qui peine à dompter un flux plein de colère. On est tout de suite, sans préambule, jeté au cœur du feu.

Il ne faut pas penser néanmoins que Silke Eberhard quitte Dolphy des yeux. Même si le propos de Being the Up and Down est un manifeste pour l’Instant, pour une immédiateté fort contemporaine, il y a çà et là quelques références, voire des citations inconscientes ou savamment travaillées qui disent toute l’influence du flûtiste sur cette musique. On en veut pour preuve « Von A nach B », où la contrebasse de Roder joue les passeurs pendant que la batterie échappe à tout cadre pour mieux dynamiter une dynamique collective qui ne refuse aucun cadre, à condition qu’il soit vecteur de liberté. Mais tout comme The Being Inn, précédemment paru lui aussi sur le label Intakt, c’est avant tout aux compositions de l’Allemande que l’album est consacré. Une musique pleine d’énergie et d’insistance, même lorsqu’elle s’offre plus de langueur dans un morceau comme « Zeitlupenbossa », où la contrebasse se charge d’une mélodie ouatée qui prend corps dans les cymbales de Lübke. Une musique qui emmagasine la nervosité comme d’autres le carburant, à l’instar des échauffourées que l’on entend sur le très court « Damenschrank »

Enregistré en août 2020 dans un club berlinois Being the Up and Down confirme la volonté de Silke Eberhard de se concentrer sur l’alto, dont elle se sert en général lorsque son jeu devient plus anguleux, plus direct, plus ouvert à l’improvisation libre, comme dans son Turns avec Oberg (« Straw Around »). Sur « Yuki Neko », le dernier morceau de cet album, lorsqu’elle se faufile dans la mitraille de caisse claire de Lübke, il rappelle à quel point le jeu, au sens le plus ludique qui soit, est au cœur du propos de la saxophoniste. Being the Up and Down est un carnet de jeu, réjouissant au possible. Il consacre surtout l’immense richesse de la musicienne et sa capacité à poursuivre une ligne droite et cohérente en se renouvelant toujours. Il est désormais indispensable de la suivre dans toutes ses aventures.

par Franpi Barriaux // Publié le 10 octobre 2021
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