Chronique

Gábor Gadó

Lung-Gom-Pa

Gábor Gadó (g), B. Dukay (p), Kristóf Bacsó (as), E. Stankovszky (cello), M. Szandai (b), R. Benkó (b) (8-10), Joe Quitzke (dm), T. Geröly (perc), C. Klenyán (cl), L. Rozmán (cl), G. Lakatos (basson)

Label / Distribution : BMC Records

L’atmosphère des albums de Gábor Gadó est toujours singulière. Il y a d’abord cette guitare claire et traînante et la complexité des compositions, où l’accent est mis sur la texture du son et sa profondeur. Sa musique travaille à la fois le bruitisme et les dispositifs de tensions et de timbres, sans perdre de vue la pulsation créative d’une base rythmique solide. C’est cette solidité, mais aussi sa réactivité, qui permettent au guitariste d’enflammer en un instant son propos et d’instiller un vrai relief à sa musique.

Celle-ci reste constamment en équilibre entre écriture contemporaine occidentale et influences orientales. Ainsi, de loin en loin, dans les échanges entre le violoncelle d’Endre Stankovszky et le saxophone alto de Kristof Bacsó comme dans la masse sonore minimaliste qui investit le silence, on distingue l’influence et l’épure de Schnittke - auquel le guitariste a souvent fait référence par le passé. Et dans un ostinato main gauche du piano préparé de Barnabas Dukay, on décèle des traces d’Alban Berg. Il faut d’ailleurs noter l’indispensable apport de Dukay sur cet album. Entre envolées subtiles et jeu de marteaux et de cordes, il incarne une profonde dimension organique et charnelle.

En réunissant un octet auquel se joint le trio Lignum [1], Gadó propose avec Lung-Gom-Pa un climat nouveau où l’on remarque avant tout l’abstraction chambriste. Celle-ci illustre le dialogue entre les instrumentistes et ménage de l’espace à Lignum mais aussi au travail atmosphérique du percussionniste Tamas Geroly, notamment sur le très beau « Bunan XVII ». Mais chez Gadó, l’incandescence du groove cabossé n’est jamais loin. La tension collective est portée par la relation privilégiée entre la contrebasse sèche du jeune et talentueux Matyas Szandai [2] et la batterie expressive du fidèle Joe Quitzke, notamment dans la construction complexe et en mouvement du morceau-titre.

Sur son précédent album, Byzantinum, Gadó se lançait dans une relecture païenne d’une apocalypse moderne. Avec Lung-Gom-Pa, il part chercher l’essence de son propos dans d’autres spiritualités, du côté des chimères asiatiques. Lung-Gom-Pa, c’est le nom tibétain de la marche méditative en suroxygénisation qui permet - paraît-il - aux lamas de parcourir de très longues distances dans la montagne. De cette quête-errance de sagesse fantasmée, il naît une musique de l’instant, un chemin collectif, avec ses heurts et revirements. Lung-Gom-Pa tangue entre douceurs subites et intempérances fécondes, notamment sur l’évocation du peintre byzantin Roublev (« Rubljov »). Toutes ces aspérités font de Lung-Gom-Pa un disque riche et complexe qui affirme encore, s’il en était besoin, le talent d’un grand créateur.