Chronique

Leblanc/Vicente/Gibson/Mira/Ferreira Lopes

Double On The Brim

Karoline Leblanc (p), Yedo Gibson (ts, as, ss), Luis Vicente (tp), Miguel Mira (cello), Paulo J Ferreira Lopes (dms)

Label / Distribution : Atrito-Afeito

Double On The Brim : doubler sur le bord, se frôler sur la crête… Les marges ont pour elles qu’elles génèrent des images qui peuvent sauter immédiatement aux oreilles. Elles peuvent se jouer de la vitesse, des frôlements périlleux, des accrochages vertigineux. C’est exactement la sensation qui saisit lorsqu’on tente de suivre le flux de l’alto de Yedo Gibson et de la trompette de Luís Vicente sur « In The Bloom », le premier morceau d’un quintet transatlantique en forme de parallélépipède particulier : on connaît bien les Portugais de la bande, avec le violoncelle de Miguel Mira, habitué des orchestres de Rodrigo Amado et la batterie de Paulo J. Ferreira Lopes, que l’on retrouvait avec Vicente dans le dernier album de la Canadienne Karoline Leblanc. Elle revient, avec Double in The Brim, à une formule plus étoffée où sa main gauche puissante et explosive fait toujours autorité. Mais c’est bien la nouvelle arête de double continentale, le Brésilien Yedo Gibson, qui en est la grande découverte, si ce n’est la forte attraction.
 
Il faut dire qu’il est mis dans de bonnes conditions, ce saxophoniste que les amateurs des aventures d’Ernesto Rodrigues avaient déjà pu entendre sur Nepenthes Hibrida. Dans le crépusculaire « Jaggy Glide », alors que la trompette de Vicente serpente entre le piano et les claquements secs du violoncelle, il sort de nulle part, avec un rôle quasi prométhéen. Le saxophone chauffe, étincelle, se cogne mais ne se brise pas. Seuls les angles sont aigus dans cet enchevêtrement de basses où même les frappes de Ferreira Lopes sont contondantes. Mais à force d’insistance et de coups de boutoir, le piano sort de sa zone de confort ; Karoline Leblanc reprend le dessus, la main droite remonte la pente avec souplesse en s’appuyant sur les constructions immuables de sa conduite rythmique. Les clusters pleuvent, ils agissent sur le souffle de Luis Vicente comme des jets d’acide. Un cyclone se forme, et l’auditeur est en son plein centre. La quiétude du chaos.
 
Avec ce nouvel album, Karoline Leblanc se positionne davantage dans une certaine tradition de l’échange transatlantique, avec un centre de gravité qui se situe non loin de Chicago. « Anthropic Jumble », sans doute le morceau le plus dense de Double on The Brim, est l’occasion de confronter la grande rigueur de la pianiste avec les déflagrations imprévisibles des soufflants. L’amalgame se fait naturellement, il est à la fois fluide et consistant, garanti sans grumeaux et impossible à figer. Le quintet très égalitaire est libre et sait jouer collectif. Un disque brillant qui confirme que la Canadienne est à ne jamais perdre de vue.