Chronique

Kaze

Uminari

Christian Pruvost (tp), Natsuki Tamura (tp), Satoko Fujii (p), Peter Orins (dms)

Label / Distribution : Circum Disc

Le quartet franco-nippon Kaze, mot qui signifie « Le Vent » en japonais, nous avait habitués à user de toute la gamme de ses souffles, de la tornade à la récente Rafale. On s’attendait donc que la troisième rencontre des deux trompettistes Christian Pruvost et Natsuki Tamura file la métaphore. Avec Uminari, sorti comme toujours sur le label Circum, il semblerait au premier abord que la tempête se tempère. « Vents contraires », composition du batteur Peter Orins, semble l’indiquer. Elle se construit autour d’un sifflement de cymbales et de ronronnements sourds d’embouchures avant que la pianiste Satoko Fujii ne libère des énergies qui partent en tous sens. En japonais, Uminari fait référence au râle de la mer, dont l’immobilité du flux n’est qu’apparente. Dans une langue qui s’attache à décrire avec précision toutes les manifestations terrestres, ce grondement profond est celui qui précède le tsunami. On ne le sait que trop depuis la catastrophe de 2011, mais aussi grâce au chef d’œuvre de Miyazaki Kaze Tachinu (« Le vent se lève »), l’élévation du niveau de la mer et ses débordements s’accompagnent toujours de vents soutenus et changeants.

Nous voici donc face à un quartet qui continue à exprimer la force des éléments, mais de manière assez différente, même si la recherche de l’espace et de la distance entre les trompettes et la base rythmique est toujours au centre des débats. Tout d’abord, les morceaux, plus longs, offrent de plus amples variations de climats. « Tioky Astimo », première composition de Christian Pruvost pour Kaze, en est le parfait exemple. Le maelström de cuivres inaugural laisse place à un suave dialogue entre la pianiste et le batteur. La force de Kaze résidait jusqu’ici dans la relation bipolaire unissant la puissance du duo français et celle des Japonais. On constate sur l’excellent « Inspiration », long morceau où s’imbriquent douceur et chaos, que ces alliances ont évolué. L’axe Fujii / Orins est devenu central : qu’il se retrouvent en osmose dans des ostinatos très structurants ou que les discours se succèdent via de remarquables solos, tout est extrêmement subtil. Une lame de fond constructrice et destructrice quand le besoin s’en fait sentir. Toujours souterraine et spontanée.

Les soufflants jadis habitués à gronder de toutes leurs embouchures ou à sonder les entrailles des pistons sont à présent préposés à colorer l’espace de façon lumineuse. Ce n’est plus un face-à-face mais une fusion de cuivres qui se relaient et qu’on ne peut distinguer les uns des autres. Sur le formidable « Running Around », au milieu du groove insistant d’Orins et Fujii, le mouvement vient des trompettes, y compris au moyen d’une nette rupture où naît un silence peu à peu raviné par les jeux de sourdines. Ce sont elles qui relancent la spirale centrifuge qui définit à merveille le propos de Kaze. On retrouve un jeu plus abstrait sur « Uminari », qui clôt l’album dans une regain de tension. Chaque mouvement entraîne une réaction en chaîne, le frottement d’une corde de piano, des objets qui s’égarent sur la batterie ou un growl qui pourra faire songer à une communication radio filtrée par une mauvaise réception. Cette atmosphère ultrasensible permettra à la pianiste d’attiser une mélancolie flamboyante. Déjà, sur Rafale, elle évoquait Chopin pour mieux le rendre aux éléments. On trouvera ici une forme de continuité avec cette démarche. la même émotion brute traverse Uminari de part en part. Elle achève de placer Kaze parmi les groupes les plus troublants du moment.